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Rashidi Yekini, le clochard céleste

Par Victor Le Grand
Rashidi Yekini, le clochard céleste

Avant-centre colossal, le Nigérian Rashidi Yekini a poussé le vice du football jusqu’à ses 41 printemps. Son seul fantasme : devenir le meilleur buteur de l’histoire de la Coupe d’Afrique des Nations ! Éreinté par la dictature, une bonne dose d’individualisme et les records de Samuel Eto’o, le monstre statistique est petit à petit redevenu un être humain. Un homme aujourd’hui détruit par la maladie. Check up.

Été 2010, l’Afrique accueille la première Coupe du Monde de son Histoire. Pays hôte élu par la FIFA, l’Afrique du Sud devient, le temps d’une compétition, la terre promise du football mondial. Pour l’occasion, Rashidi Yekini est nommé ambassadeur du Nigeria mais le jeune retraité décline aussitôt l’invitation. Le message est clair : Yekini refuse toute implication liée au football professionnel. Afrique ou non. La dépêche passe mal : aux yeux de tous, Rashidi est un absent, un renégat, et c’est entendu, les absents ont toujours tort.

En réalité, l’homme est gravement malade. Il souffrirait de stress mental. Un matin, durant l’animation d’un bus humoristique français, l’ancien buteur sort ses affaires personnelles en pleine rue et les incendie, à l’essence, sous le regard des passants ahuris. Le voisinage l’aperçoit même errant pieds nus dans les rues d’Ibadan, ville universitaire du Nigeria, où il vit dans le plus affreux des dénuements. Les maisons contiguës ont des oreilles. Elles rapportent qu’il se parle régulièrement à lui-même, en public et à haute voix. L’alerte est donnée. Sa famille, qu’il avait pourtant abandonnée, tente désormais de sortir son illustre membre de sa clochardisation. Ses deux enfants se pressent à son chevet. Côté football, la Fédération nigériane n’est pas rancunière. Elle souhaiterait proposer à son ancien pensionnaire un poste de superviseur et d’acteur principal à la reconstruction du football nigérian, rongé par la corruption. « Yekini a tellement donné pour ce pays. Nous devons trouver une façon de l’aider » , affirme Chris Green, président de la Fédération nigériane de football. Rien à faire, à la différence de ses anciens coéquipiers Damiel Amokachi ou Sunday Oliseh, le meilleur joueur africain 1993 est ulcéré par un système qui ne l’a jamais ménagé. Ce football moderne qui ne lui a jamais offert son rêve le plus fou : devenir meilleur buteur de la Coupe d’Afrique des Nations !

Jalousie, extravagance et mysticisme

Car avant d’illustrer les manuels de psychologie, Yekini est avant tout une légende du ballon rond. Et non des moindres. Pendant plus d’une décennie, ce beau bébé d’1m90 cogne les défenses de tous bords. Après une initiation dans les divisions locales, puis un passage remarqué à l’Africa Sports d’Abidjan, c’est au Vitória Setúbal (1990-1994) que ce tueur commet ses plus grands crimes. En 108 matchs, il y tire 90 buts. En 1993-1994, l’attaquant nigérian tente même la prémonition avec Messi ou Ronaldo en inscrivant 34 buts en 32 matchs. Point de vue sélection, même refrain. Meilleur buteur des Coupes d’Afrique 1992 et 1994, il est à ce jour le plus grand finisseur des Super Eagles. Décompte officiel : 37 buts en 58 sélections. Or, le continent africain maîtrisé, il est dans la suite logique des choses que ces folles statistiques trouvent un écho international. Chose faite lors de la Coupe du Monde 1994, aux États-Unis. Pour son match d’ouverture, le Nigeria piétine la Bulgarie trois buts à zéro. En inscrivant le premier but de son équipe, premier but du Nigeria dans une Coupe du monde, Yekini entre au Panthéon du football africain. Et au classement imagé des célébrations post-but…

Pendant que Maradona crie au monde entier sa forme olympique, ou presque, Rashidi, sous le soleil du Cottwn Bowl de Dallas, ouvre son compteur-buts. Une réalisation toute faite, célébrée à sa manière. En l’espace de quelques secondes, Yekini se jette seul dans les buts adverses, s’accroche nerveusement aux filets et se met à prier ! Émotion brute et mystique. Mais ce n’est qu’un délire de spectateur, car sur le terrain, cette profusion de joie ne convainc personne. Son pion, il le fête seul. Signe que quelque chose ne va pas dans le groupe nigérian. Ses coéquipiers lui reprochent ses excès d’extravagance et son individualisme, si bien qu’ils organisent une véritable faction et refusent de lui adresser la moindre passe pour les matchs suivants. « Certains de nos joueurs étaient d’une jalousie maladive envers Yekini. C’était notre meilleur joueur. Mais il n’était pas assez intelligent pour calmer les choses » , note son ancien partenaire en sélection, Sunday Oliseh. « Beaucoup de choses ont été dites à son sujet, mais vous savez, qui d’autre dans l’Histoire du Nigeria envoyait des frappes de 30 mètres ? Si Yekini peut compter ses buts, eh bien, il en a mis plus d’une centaine. » Esseulé et critiqué, Yekini ne marquera plus un but sur le sol américain.

Exclusion de la CAN 1996

Un but, c’est ce qui le sépare des archives du football. À l’approche de la CAN 1996, Yekini, de nature ambitieuse et revancharde, compte bien devenir le buteur historique de la compétition africaine. Objectif affiché : égaler le record du buteur ivoirien Laurent Pokou hissé à 14 buts ! Mais une bévue diplomatique lui bloque une route pourtant toute tracée. Car en Afrique, tout est politique. L’écrivain et militant écologiste nigérian Ken Saro-Wiwa, acquis à la cause du peuple Ogono, s’oppose à la politique pétrolière menée dans la région du delta du Niger par les grandes multinationales occidentales. Trop grande gueule, trop écouté, il sera condamné à mort par le général Sani Abacha, à la tête de la dictature nigériane depuis 1993. Cette pendaison, dénoncée par toute la communauté internationale, touche tout particulièrement l’Afrique du Sud, qui organise de surcroît la Coupe d’Afrique des Nations 1996. En signe de protestation, Nelson Mandela prône notamment la mise en place d’un embargo pétrolier sur le Nigeria. La tension entre les deux pays est à son comble.

« Les médias sud-africains sont généralement hostiles au Nigeria. Nous avons également appris que nos joueurs risquaient d’y être mal reçus. En conséquence, le gouvernement a estimé que les conditions n’étaient pas réunies pour une participation du Nigeria à la CAN-96 » , feint Jim Nwobodo, le ministre des Sports nigérian. En clair, Abacha pète les plombs et exclut lui-même sa sélection nationale. Conséquence double, ce boycott les prive de l’édition suivante au Burkina Faso. En 2000, le Nigeria reprend pourtant le train en marche et organise le tournoi en compagnie du Ghana. Mais Yekini n’a plus le niveau. La sélection s’éloigne, un rêve se brise. Pas de CAN, pas de records. Surtout quand un certain Samuel Eto’o devance Pokou et Yekini d’une même foulée, en devenant le buteur historique de la Coupe d’Afrique des Nations avec 18 réalisations. La torture de trop.

Complexe d’infériorité

La déliquescence du joueur, la déchéance de l’homme. Après le Mondial américain, le Nigérian improvise : Olympiakos, Sporting de Gijón, retour au Vitoria Sétubal, FC Zurich, Club Athlétique Bizertin (Tunisie), Al Shabab Riyad (Arabie Saoudite), à nouveau l’African Sports. Puis, pour finir, ultime come-back au pays à 41 ans au Gateway FC. Bref, Yekini tourne en rond. Il est temps pour lui de raccrocher.

Tout jeune retraité, Rashidi décide alors de se lancer dans les affaires et de se couper totalement du monde du football. Malgré les avertissements, il s’associe avec un opérateur de change fortuné, Ibrahim, qui n’est autre que son dernier confident. Schéma bancal : le premier laisse au second le soin d’investir ses économies dans l’import-export de joailleries de luxe. Oui mais voilà, en déplacement professionnel, la mallette pleine de billets, Ibrahim se fait liquider en plein jour à quelques minutes d’une onéreuse transaction. Le hasard dans tout ça ? À quelques centimes près, Yekini vient de tout perdre. Fauché, malade et paranoïaque, il ne lui reste qu’une modeste maison de quatre pièces, au sud d’Ibadan, où il vit seul et ne reçoit jamais personne. Rares sont ceux à faire le déplacement. Si : certains journalistes et un ex-coéquipier sont partis à sa rencontre. En vain : maison quasi en ruine, volets fermés, portes verrouillées. Prière de ne pas revenir ! Son entourage parle d’un être asocial, angoissé, victime d’un complexe d’infériorité dû à un manque d’éducation. Les rumeurs vont bon train. Aux dernières nouvelles, un passant l’aurait aperçu il y a quelques mois à la sortie d’un magasin de téléphones portables. La description physique n’est pas flatteuse. Qu’importe, le joueur, lui, est magnifique…

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