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Quelle est la part de chance dans un match de football ?

Par Christophe Gleizes
Quelle est la part de chance dans un match de football ?

Le football et la chance entretiennent une relation complexe et passionnée. À l'heure où elle est traquée, où la moindre incertitude et la moindre erreur sont appelées à être effacées, rencontre avec quelques poissards invétérés ou autres joueurs nés sous une bonne étoile, pour tenter de percer le mystère d'un concept bien compliqué.

Guillermo Ochoa peut exulter. Le coup de sifflet final vient de retentir, et ses coéquipiers de l’AC Ajaccio viennent de glaner en cette seconde journée de championnat un point inespéré sur la pelouse du Parc des Princes. Le gardien mexicain y est d’ailleurs pour beaucoup : ses arrêts aussi fantasques que décisifs ont dégoûté les stars parisiennes, quand il n’était pas suppléé par ses montants. Les statistiques d’après-match sont éloquentes : 77% de possession de balle pour les Parisiens, 39 tirs dont 17 cadrés, pour un seul but. En face, les Corses ont réalisé le hold-up parfait avec un seul et unique tir cadré gagnant. « Vu les statistiques de la rencontre, deux conclusions s’imposent. Soit le PSG n’a pas de buteurs, soit ils n’ont pas eu de chance » , analyse Gilles Vervisch, philosophe et spécialiste du football.

Ibrahimović et Cavani étant unanimement reconnus comme deux attaquants d’exception, il semblerait bien que le PSG ait eu la mouise. Une malchance symbolisée par la double barre transversale de Thiago Silva, un gardien adverse en état de grâce, mais aussi et surtout par tous les petits détails qui ont manqué pour faire la différence. Mais c’est quoi exactement, la chance ? « Je définirai la chance comme tout ce qui ne dépend pas de nous. On retrouve cet aspect chez Machiavel notamment. Il oppose la vertu, qui serait ici le talent du joueur et ses capacités, à la fortune, que l’on peut comparer au sort, ou au destin. Le fait est que l’on peut avoir beaucoup de qualités, faire tout ce qu’il faut pour réussir, il y a moyen de se planter quand même. Et à l’inverse, on peut faire le minimum et réussir quand même grâce à l’aide de la fortune. » La chance aurait donc sa place dans le football, même si ses émanations les plus évidentes restent difficiles à interpréter.

Le cul bordé de nouilles

« Traditionellement, la chance est identifiée comme un terme positif, mais il y a aussi toute une partie négative dans ce concept, que l’on peut assimiler aux coups du sort » , poursuit Gilles Vervisch, avant d’expliquer : « Ce qui apparaît selon moi très clairement, c’est que le football est l’un des seuls sports où ce n’est pas forcément le meilleur qui gagne. C’est l’exemple très connu de Carquefou contre Marseille, ou de Quevilly contre Rennes. Je l’implique au fait qu’il y a peu de règles, et surtout peu de buts à marquer. Au rugby ou au tennis, la victoire se construit sur la durée, il y a tellement de points à marquer que l’on se fout presque d’un manque de chance passager ou d’une petite erreur d’arbitrage. Au football, un seul but suffit. Un pénalty plus ou moins contestable, un poteau entrant ou sortant, une faute non sifflée peuvent faire basculer une rencontre dans un sens ou dans l’autre. »

James Fanchone en sait quelque chose. Si le joueur du Havre a connu une carrière décousue tout au long de ses années mancelles, strasbourgeoises et lorientaises, la chance a été de son côté en maintes occasions. « Mon plus gros coup de chance ? Je m’en souviens bien. C’était lors d’un match de Coupe de la Ligue avec le Mans au stade Léon Bollé, il y a presque 10 ans. J’étais aux vingt mètres, excentré sur la droite, et là je vois Didier Drogba qui demande le ballon dans la surface. Je veux centrer, mais il y a un faux rebond et le ballon part dans la lucarne opposée du gardien. (Rires) Ça, c’était vraiment de la chance. » Il y a aussi eu ce match contre Saint-Étienne, si ses souvenirs sont bons : « Il y avait 2-2 et je reçois une balle de but aux six mètres. Franchement, je la voyais déjà dedans, mais là encore, il y a eu un faux rebond et la balle s’est envolée en l’air. C’était un coup de malchance, vraiment, mais j’ai aussi eu de la chance quelque part puisqu’au final on gagne 3-2, ce qui fait que mon erreur est passée inaperçue. »

Aujourd’hui âgé de 33 ans, le vieux briscard, rompu aux joutes de la Ligue 1 et de la Ligue 2, porte sur ce phénomène un regard de connaisseur. « Une équipe n’est jamais maître de son destin à 100%. Tout dépend de la physionomie du match. Quelquefois, tu commences un match, tu te dis dans ta tête que tu vas tout casser, et derrière tu prends un tacle qui te détruit au bout de dix minutes. On ne sait jamais comment une rencontre va se dérouler, chaque match est différent. Mais il faut de la chance pour gagner des matchs. Parfois, tu subis toute la rencontre et tu marques à la 95e minute, ça ne s’explique pas. » Avant d’avouer une faute aussitôt pardonnée : « La chance, il faut aussi savoir la provoquer, en se montrant malin. Il m’est souvent arrivé de faire une faute dans la surface sans que l’arbitre ne voit rien et ensuite de marquer. »

Chance et réussite

La chance, David Bellion l’a sans doute trop provoquée. « Dire qu’on n’a que ce que l’on mérite, c’est totalement faux. Moi, la malchance, cela fait des années que je rame avec, j’ai connu tout un tas de blessures pourries. » Le buteur des Girondins de Bordeaux, passé par Manchester United et Nice, identifie la fortune comme « un concept impalpable et complexe » : « Sur un corner, si j’attaque au premier poteau, c’est que je pressens instinctivement que le ballon va arriver. La véritable chance, c’est de se trouver au bon endroit au bon moment, mais c’est aussi un talent. » Il évoque néanmoins des pistes pour mieux la cerner : « L’année du titre, quand on perdait 1-0 ou 2-0, franchement on n’était même pas inquiets, on avait une telle confiance en notre jeu que l’on faisait tourner le ballon jusqu’à ce que le sort change. C’est cette confiance qui te prodigue le petit truc en plus qui fait que le poteau est entrant et pas sortant. » Comme sur ce coup franc de Yoann Gourcuff, tiré enveloppé : « Personne ne touche le ballon, il tape le poteau avant de longer la ligne. Wendel a suivi, mais il rate la balle. Il entre alors dans les buts et lève les bras, ce qui fait que l’arbitre nous a accordé le but alors que le ballon n’est jamais entré. »

À écouter le Bordelais, la chance ne serait pas si différente de la réussite. Mais cette analogie n’a pas lieu d’être, selon le philosophe Gilles Vervisch : « Il y a une différence entre la chance et la réussite. La réussite reste en effet intimement liée à l’idée de mérite. Quand on dit qu’un attaquant a de la réussite, c’est qu’il a tout fait pour marquer, et qu’une providence plus ou moins divine l’a aidé au moment décisif. C’est en quelque sorte la fortune qui vient récompenser la vertu. » Sans doute faut-il trouver ici le véritable sens des paroles de Gzregorz Krychowiak, le milieu du stade de Reims, qui raconte à propos du but d’Odaïr Fortes à Lyon le week-end dernier : « C’est vrai que c’est un but chanceux, mais voilà, il fallait le tenter, il fallait tirer, il fallait aller le chercher. Personne ne nous a donné ce but-là. » La réussite aurait donc ceci de particulier qu’elle se provoque, à l’inverse de la chance qui ne dépend pas des acteurs : « À l’inverse, en cas de défaite, j’ai l’impression qu’on augmente artificiellement le facteur chance. On dit qu’on a manqué de réussite pour masquer le fait qu’on a simplement mal tiré au but. On fait alors reposer le sort sur des éléments qui dépendent pourtant de nous ; dans ce cas-là, le manque de chance réel ou fantasmé devient une excuse. On assume alors que le football n’est pas seulement lié au savoir-faire des joueurs, mais bel et bien dépendant de la chance. »

Vidéo

L’interview d’après-match est à ce propos une véritable mine d’or. « En cas de défaite, on entend souvent dire qu’il y avait la place, qu’on aurait pu si… Le si, c’est la marque du conditionnel, avec l’idée que ce qui est arrivé aurait pu ne pas arriver si le sort n’avait pas été contraire. » La chance est donc globalement acceptée comme partie intégrante du jeu par les footballeurs. Mais alors, concrètement, à quelle occasion pointe-t-elle le bout de son nez ? « Pour moi, la plus pure émanation de la chance dans le football, ce sont les tirs au but. Là, c’est vraiment la roulette. Domenech n’a pas été champion du monde en 2006 à cause d’une transversale » , explique Gilles Vervisch. Les poteaux restent à ce titre des objets particulièrement fascinants, eux aussi « symboles de la grande loterie du football » .

Quand la chance est traquée

Si ces faits de jeu, inégalement partagés, font partie intégrante du sport et de sa « dramaturgie » , il n’en reste pas moins qu’ils sont aujourd’hui dénigrés. Dans un monde du ballon rond où la performance est aujourd’hui devenue le nerf de la guerre, les injustices sont de plus en plus mal vécues et de moins en moins acceptées. Pour tenter de les limiter s’organise aujourd’hui une véritable chasse au hasard et à l’incertitude. Gilles Vervisch dénonce à ce titre « la réduction toujours plus importante du facteur humain » , en prenant pour exemple le débat sur la vidéo. Réclamée à cor et à cri par certains observateurs, elle irait dans le sens d’une plus grande neutralité et d’une plus grande efficacité, mais le président de l’UEFA Michel Platini, en dernier des Mohicans, lui préfère encore l’arbitrage à cinq, un moyen plus classique et surtout plus « humain » de limiter les erreurs inhérentes à l’homme et sa subjectivité. Et tant pis si les supporters de Chelsea, éliminés en 2005 de la Ligue des champions sur un but généreusement accordé à Luis García, ne sont pas contents.

Mais plus que les critiques des lésés ou autres déçus en tout genre, la chance doit aujourd’hui composer avec un adversaire qui n’a pas d’odeur. « Selon moi, la chance n’a pas une part si importante dans le football d’aujourd’hui, explique Gilles Vervisch. Je ne sais pas quelle est sa véritable place, mais elle est devenue un facteur de réussite moins important que l’argent par exemple. Avec les moyens économiques du PSG ou de Monaco, on est moins dans la chance que dans le destin, surtout quand on nous annonce qu’ils vont être champions avant même le début de la saison. » Et le philosophe de préciser : « Au départ, dans le sport, l’idéal c’est l’égalité des chances. Tout le monde part sur la même ligne et que le meilleur gagne. Or on s’aperçoit aujourd’hui que cet idéal est remis en cause, entre des équipes qui ne disposent clairement pas des mêmes moyens au départ du championnat. Certes, sur toute une saison, c’est en général le meilleur qui est champion, mais on retombe sur d’autres questions. Meilleur par rapport à qui et à quoi? Le PSG est meilleur qu’Évian, mais a-t-il forcément plus de mérite ? »

Le fair-play financier – toujours prôné par Michel Platini – tente actuellement de remédier à ce problème, mais il reste largement contourné. En grand romantique, l’ancien numéro 10 des Bleus essaie comme il peut de préserver la recette et la dramaturgie du football ; un jeu que certains voudraient aseptiser en supprimant toute incertitude ou coup de poker. Pourquoi cette idée, messieurs les censeurs ? Le football s’est imposé comme le sport le plus populaire de la planète, à la fois beau et imparfait. Et comme Michel vous l’expliquerait, on ne devient pas numéro 1 par hasard.

Gilles Vervisch, De la tête aux pieds, Une philosophie du jeu, chez Max Milo

Le jour de Bourigeaud

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