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Quand l’ETA menaçait le Santiago Bernabéu d’un attentat
C’était un match comme des milliers d’autres pour le Real Madrid. Des spectateurs et des stars mondiales réunies autour d’un ballon. La suite ? L’apparition soudaine de la peur, invitée surprise dans la capitale espagnole. Récit du Real Madrid-Real Sociedad le plus long de l’histoire.
Par principe, il est difficile d’estimer à l’avance si un match de football va s’étendre ou non sur la durée. Blessures graves, décisions arbitrales contestées, changements de joueurs… Beaucoup de critères sportifs peuvent retarder la fin d’une rencontre. 90 minutes réglementaires donc, puis les fameux arrêts de jeu de la seconde période. Selon le cas, ils varient de la minute symbolique aux six minutes longues comme des heures. Et quand vient le moment où l’arbitre siffle trois coups secs dans son sifflet, les gens peuvent rentrer chez eux, déçus ou heureux. Le dimanche 12 décembre 2004 pourtant, les spectateurs du Santiago-Bernabéu ont été privés du résultat final de leur équipe, pour une cause extérieure au sport. Une cause que l’on pourrait qualifier de crainte d’un trouble à l’ordre public. Une cause que l’on souhaiterait ne plus jamais revoir sur un terrain de football, là où la foule s’offre son loisir, son plaisir, son bonheur. Ce soir-là, le match n’aura duré que 88 minutes, et le coupable possède un nom : Euskadi Ta Askatasuna, ou ETA.
« Bombe, on arrête ! »
Depuis la pelouse, ce duel entre Blancos et Txuri-Urdin est le match de clôture de la 15e journée de Liga 2004/2005. Deux équipes déjà sacrées championnes nationales par le passé, mais dont la cote de popularité a baissé de niveau. La Real Sociedad n’est plus cette équipe capable de talonner les Madrilènes dans la course au titre, et le Real Madrid s’englue dans une crise interne à la suite du départ éclair de José Antonio Camacho en tout début de saison. L’intérim est assuré par Mariano Garcia Remon, en attente d’un nom plus vendeur. Côté basque, Nihat se souvient avoir pris beaucoup de plaisir pendant la rencontre. « Très franchement, il n’y avait aucun signe apparent d’une menace, se rappelle l’attaquant. C’était du grand classique : nous sommes sortis de l’hôtel pour nous diriger vers le stade, notre échauffement était bon. En face, c’était le Real des Galactiques, une équipe de dingues. Mais nous étions bien entrés dans notre match, nous faisions jeu égal avec eux. » Ronaldo ouvre le score avant la pause, mais la Real ne lâche pas le morceau. À la 72e minute, Nihat claque une superbe reprise pour égaliser. Un partout, balle au centre. Les spectateurs attendent un buteur, un sauveur. La fin approche, le suspense est à son comble. 88e minute. Couac.
Depuis la loge présidentielle, Florentino Pérez s’absente un moment. Il reçoit l’information en personne : une menace terroriste prononcée par un appel anonyme au nom de l’ETA est apparue par le biais du quotidien basque Gara. L’explosion devrait avoir lieu à 21 heures précises, dans l’enceinte du Santiago-Bernabéu. Le ministère de l’Intérieur vient de considérer ce coup de pression comme « crédible » . Il est 20h43, l’évacuation du stade devient urgente. En coulisses, l’ordre traverse de façon confidentielle les travées du stade, pour arriver sur le bord de la pelouse. Depuis l’entrée du tunnel, le délégué merengue Agustin Herrerin est le premier à prendre note de l’ordre d’un membre du service de la sécurité. « Bombe, on arrête ! On arrête ! » Le message est tout de suite passé au quatrième arbitre, à sa droite. Après un bref footing, l’homme tente tout ce qu’il peut pour alerter l’arbitre central, Vicente José Lizondo Cortés. Pressé par le temps, il vient à la rencontre de son homologue en pleine action. Un coup de sifflet, rideau.
Nihat : « La peur ne doit jamais gagner »
Bien disciplinés, les 22 acteurs et les bancs de touche accourent vers le tunnel central. « C’était un peu la panique à ce moment-là… Quand j’ai vu Darko (Kovačević, ndlr) courir, je me suis dit qu’il se passait un truc. Je ne savais pas ce que c’était, mais on voyait sur les visages des officiels qu’il fallait faire vite… L’alerte à la bombe, je l’ai su quand on était déjà dans le vestiaire. » Au mégaphone, le speaker s’efforce de contenir un public plongé dans le mystère. « Nous prions tous les spectateurs de quitter le stade dans l’ordre et le calme. » Là aussi, le message est écouté : 70 000 personnes sont évacuées des tribunes en seulement huit minutes, quitte à utiliser les accès réservés aux joueurs. « Les gens auraient pu se bousculer, à cause des mouvements de foule, mais la situation était bien gérée, évoque Nihat. Il fallait utiliser la sortie la plus proche, donc certains spectateurs ont rapidement suivi les joueurs dans le tunnel. C’est bizarre, parce que tu croises des gens qui se demandent comment ils peuvent s’en sortir… » Trois minutes avant l’heure fatidique, certains journalistes présents sur place filment une dernière fois le stade vidé, scène à la fois triste et incroyable.
À l’extérieur, le spectacle est tout aussi irréel. Des joueurs ont voulu quitter l’enceinte en parka, short et chaussettes. Luís Figo est au téléphone, à l’instar de Guti, Ivan Helguera ou Iker Casillas. « C’est une réaction tout à fait normale, tempère Nihat. Quand des informations comme cela circulent, certains souhaitent prévenir leurs proches ou parler avec eux. De notre côté, nous avions vu depuis nos chambres d’hôtel que le stade s’était vidé sans incident. » En aparté, Pérez discute avec les officiels pour évoquer le report du match. Face aux caméras, le président raconte « la peur, et le souhait qu’il ne se passe rien » . Une prière entendue. 21 heures, aucune bombe n’explose. Quinze minutes plus tard, la fausse alerte est confirmée. L’ETA fait passer un frisson sur la capitale et s’offre là une médiatisation encore malvenue, après les attentats du 11 mars de la même année. Et le match dans tout cela ? Bloqué à 1-1… Jusqu’à 2005. Le 5 janvier, l’épilogue est joué à Santiago-Bernabéu. Sur le banc, Vanderlei Luxemburgo passe ses six premières minutes comme entraîneur de la Maison Blanche, pour un match unique en son genre. « J’espère que ça ne se produira plus, cela reste un très mauvais souvenir, conclut Nihat. Malgré tout, le stade était quasiment plein pour voir la fin du match. Cela prouve que les gens n’avaient pas peur. Dans ce genre de situations, la peur ne doit jamais gagner. » En six minutes, le Real inscrira un penalty, provoqué par Ronaldo, puis transformé par Zinédine Zidane. Trois semaines après, la foule blanche peut à nouveau rugir de plaisir. Zizou est magique.
Par Antoine Donnarieix