Peut-on critiquer le Barça ?

« Barcelone a davantage mérité d’aller en finale de Ligue des Champions que Chelsea, car c’est la seule équipe des deux à avoir joué au football » . Johan Cruyff, le taliban néerlandais, n’y est pas allé par quatre chemins quand il a fêté la qualif’ de son équipe de cœur dans le quotidien El Periodico de Catalunya. D’un côté, les gentils cow-boys de Barcelone, et de l’autre, les méchants indiens de Londres. Comme si jouer au football, c’était seulement cela : jouer au football comme le fait le Barça. Autrement dit, pour faire vite : garder le ballon à terre, multiplier les passes, écarter puis revenir puis écarter encore pour revenir encore, et attendre la faille. Monopoliser la balle, endormir l’adversaire. Des actions qui durent des minutes entières, et qui se finissent par un but. Olé.

Et le reste, alors ? Le contre fulgurant qui permet d’aller d’une surface à l’autre en trois passes et cinq secondes chrono ; les centres au cordeau déposés sur le front ami ; les frappes de mule déclenchées des 30 mètres ; de la belote ? “Jouer au football”, si ça se limitait à un seul style de jeu, ça se saurait depuis longtemps. Là-haut, chez Howard Wilkinson, éphémère sélectionneur anglais, on a une définition bien à soi, sommaire, et toute britannique : « Je suis fermement convaincu que si vous marquez un but de plus, l’autre équipe doit en marquer deux pour l’emporter » . En bas à droite, voici Helenio Herrera, philosophe du miracle italien : « Avant tout, il s’agit de défendre le point avec lequel on descend sur le terrain, à la première minute de jeu » . De l’autre côté de l’Atlantique, Osvaldo Soriano, écrivain argentin, fait dans le baroque : « Le football est une fantaisie, une sorte de dessin animé pour adultes » . Un Allemand vous parlerait de masse physique et de concentration, un Algérien de roulettes et de talonnades, un Uruguayen de bastons générales, et un Brésilien résumerait tout cela à une histoire de baise et de sable chaud. Évidemment, tout le monde est persuadé d’avoir raison.

Logique, donc, que les Barcelonais croient détenir la seule et unique vérité. D’autant que l’équation “nationalisme catalan + arrogance néerlandaise” qui marque l’identité du Barça n’est pas exactement faite pour favoriser l’humilité. Ce qui étonne, c’est que le reste du monde se fasse refourguer la came sans broncher. Encore que tout s’explique, là encore : à coups de partenariats Unicef, de patriotisme gauchisant et de diabolisation des opposants, le “mes que un club” semble avoir réussi à gagner la guerre psychologique. De manière définitive ? Pas si sûr : la dernière fois qu’une équipe a autant fait l’unanimité chez les piliers de bars, c’était le 18 mai 1994. En finale de la Ligue des Champions, le fabuleux Barça de Cruyff, loué par le monde entier, devait écraser le méchant Milan AC de Capello. Les Catalans étaient finalement repartis avec une valise, 4-0. Manière de rappeler que pour voir un beau match de handball, mieux vaut encore attendre les Jeux Olympiques.