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Pep Guardiola et le football français

Par Thibaud Leplat
Pep Guardiola et le football français

Le meilleur entraîneur français n'exerce ni au Paris Saint-Germain, ni à Lyon, ni en équipe de France. Il est catalan, a remporté son dix-neuvième titre cette semaine et dispute ce soir une demi-finale de Coupe d'Allemagne contre Dortmund.

Bien sûr, il y aura toujours une bonne raison de se plaindre, de reculer d’un pas et de s’éloigner en ricanant. Le jour où la fin du foot approchera enfin, ils diront qu’ils avaient su avant tous les autres, qu’on avait refusé de leur prêter attention et qu’encore une fois, ils avaient raison. Dans la confusion de la catastrophe et les remous des rivières débordantes, ils prendraient des airs d’Apocalypse et, dans les micros qui nous fatigueraient les oreilles en haut de miradors surveillant notre exode, ils nous asséneraient tous les versets de la honte et de la contrition. Même nos chiens se mettraient à hurler : « Pêcheurs, convertissez-vous ! » Tout était de notre faute, nous les dirigeants, nous les entraîneurs, nous les joueurs mal élevés, nous les amateurs trop ambitieux. Nous étions tous coupables de n’avoir rien fait, rien dit, rien écouté, d’avoir laisser filer notre football à sa perte. Ils en voulaient successivement à Bielsa, Gourcuff, Blanc, Ribéry, Nasri, Le Graët, Aulas, Labrune. Au fond, nous méritions tous l’exil ou la potence. Quand les prophètes du passé attrapent le football sous leurs griffes, c’est pour l’examiner comme l’un de ces batraciens qu’on dissèque, comme l’un de ces cadavres de laboratoire dont ils pensent que c’est en lui ouvrant les entrailles qu’ils en connaîtront les secrets. Une fois l’animal vidé de son intérieur, ils prendraient cet air convaincu du savant de bas étage, jetteraient la carcasse à la poubelle et concluraient devant une assistance médusée de leur plus célèbre refrain « je vous l’avais bien dit, la France n’est pas un pays de football » .

Bénie soit notre enfance

Ce pays qui aimait un peu trop le champagne et la conversation voyait décidément le football à l’envers. Il ne comprenait pas qu’il fallait « optimiser » ses chances, « transformer » les occasions, « mesurer » toutes les opportunités manquées si l’on voulait à la fin « obtenir des résultats » . Comme si le football était le fruit d’un calcul savant dont les commentateurs zélés avaient pour unique mission de vérifier l’exactitude, la statistique s’était emparée de toutes les retransmissions. Le football devenait une collection de données quantitatives que certains prophètes triés sur le volet étaient les seuls aptes à commenter, comparer et interpréter. Eux seuls savaient. Nous, non. Le jeu préféré de notre enfance n’était plus que le produit d’un calcul économique immédiatement commercialisable. Ce qui jusque-là n’avait été que des sensations (jouer sous la pluie, sous la canicule, sur un terrain bosselé, sur le macadam cabossé) ce jeu qui occupait absolument toutes nos pensées, ce plaisir enfantin qui nous avait accompagnés jusque dans notre âge adulte, ce football qu’on aimait tant imaginer, rêver, pratiquer avait succombé au fiel et au ressentiment. Il n’y avait plus aucun plaisir, seulement du calcul et de la frustration. Le « football français » , comme ils sermonnaient dans nos oreilles depuis des mois, allait dans le mur. Et, ce qui est peut-être pire, les brailleurs ne savaient même pas pourquoi.

Entrer en dissidence

Mais un jour en Espagne, un entraîneur prit le maquis. Il s’appelait Juanma Lillo, maître de Pep Guardiola : « C’est un cri d’insurrection, un poing tapé sur la table des dogmatiques, un « c’est assez maintenant, j’en ai fini de me taire », nous avons suffisamment avalé ce football fait de contrôle, de données, de tests, de mesures, assez de tous ces chiffres pour contrôler l’incontrôlable, mesurer l’immesurable. C’est assez. Il faut briser cette inertie. Nous vivons centrifugés par l’incertitude, et l’intelligence réside dans le fait d’apprendre à vivre avec cette conviction, pas à construire des certitudes pour nous faire croire que l’incertitude n’existe pas » . Ce Diogène d’un autre type qu’on moquait pour ses phrases mystérieuses et des aphorismes incompréhensibles nous en voulait, à nous les Français. Lillo, ses cheveux frisés grisonnants, ses sourires de savant fou, son désintérêt complet pour son apparence physique, était un Guardiola qui aurait mal tourné, un rêveur qui se promènerait au bord de l’abîme. Lui ne pensait pas que le football français était mort et enterré. Lui, au contraire, pensait qu’il était encore en nous, caché sous nos déceptions. Dans sa maison des alentours de Madrid, il passait ses journées à ressusciter le football de Reims, de Piantoni, de Platini, de la France de 82, 84 et 86. La dissidence était une vertu footballistique française, il en était convaincu.

La profondeur du jeu

Il s’expliqua. Un jour, cet homme en colère avait lu un philosophe méprisé par ses confrères français, mais docteur honoris causa dans le monde entier (sauf dans son pays natal), résistant de la première heure, traduit en 42 langues et inventeur de la science de la complexité : Edgar Morin. Juanma avait raconté à un ami qui s’appelait Pep Guardiola ce qu’il avait lu chez ce philosophe français : il n’y avait pas de réponse simple à un problème complexe, toutes les tentatives qui consistaient à séparer l’individu de ses circonstances, de la société ou de lui-même étaient vaines et simplistes. Il avait lu que la seule manière d’organiser notre action, c’était de changer notre perception du réel, d’intérioriser l’incertitude et mieux encore, de s’y préparer. Une organisation humaine – comme une équipe de foot – était complexe, c’est-à-dire qu’elle était le fruit d’un assemblage fragile, d’un enchevêtrement d’enlacements et de hasards. L’action était l’autre nom de la stratégie c’est-à-dire, selon Morin, des « scénarios qui pourront être modifiés selon les informations qui vont arriver en cours d’action et selon les aléas qui vont survenir et perturber l’action » .

Le football est un poème français

Pour comprendre le foot, mieux valait lire que de brailler. Dans Introduction à la pensée complexe, Morin donnait même des exemples de football pour qu’on comprenne bien que l’ordre c’est le désordre, que le joueur et le jeu étaient interdépendants, qu’attaquer et défendre c’est la même chose, « la stratégie profite du hasard, et, quand il s’agit de la stratégie à l’égard d’un autre joueur, la bonne stratégie utilise les erreurs de l’adversaire. Dans le jeu du football, la stratégie consiste à utiliser les balles que donnent involontairement l’équipe adverse. La construction du jeu se fait dans la déconstruction du jeu adverse et finalement le meilleur stratège – s’il bénéficie de quelque chance – gagne. Le hasard n’est pas seulement le facteur négatif dans la stratégie. C’est aussi la chance à saisir » . Pressing très haut, possession, supériorité au milieu, les défenseurs qui attaquent, les attaquants qui défendent, les lignes qui avancent quand elles perdent le ballon et qui reculent quand il faut attaquer, Lahm qui joue ailier droit, Alaba milieu offensif, Badstuber qui organise le jeu en phase d’attaque, les milieux qui gouvernent, Neuer qui se prend pour un libero : qu’est-ce que le football de Guardiola, sinon l’application de ces principes hétérodoxes ? Qu’est-ce que le football de Guardiola sinon la même sensation de dissidence et d’insurrection ? Qu’est-ce que le football de Pep sinon un football français ?

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Par Thibaud Leplat

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