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On était à Barcenal avant Barcelone-Arsenal

Par Émilien Hofman, à Barcenal
On était à Barcenal avant Barcelone-Arsenal

Avec un alléchant Bayern-Juventus comme concurrent, le duel déjà spoilé entre Barcelone et Arsenal était voué à l’ignorance de la communauté mondiale du foot. Et ce ne sont pas les habitants de Barcenal, en Belgique, qui ont fait exploser l’audience. Mais on y était…

Ça souffle fort, très fort. La petite route qui vient couper la N949 menant de Leignon à Ciney monte tellement qu’on se retrouve finalement à une hauteur où, plus qu’ailleurs, le vent est roi. À quelques centaines de mètres de là, des éoliennes ont bien compris le truc et elles en profitent pour tourner en toute vélocité. Il y a du soleil, mais il ne fait pas spécialement chaud. On a beau être en plein milieu de la campagne condruzienne, une région qui abrite une centaine d’habitants au km2, les bagnoles défilent comme si elles faisaient partie d’un cortège… Sauf qu’ici, elles roulent à fond de balle sur les pavés. « Normal » , cette rue est un raccourci terrible pour ceux qui veulent rallier plus rapidement Ciney, la capitale du Condroz. Le nom de cette chaussée ? Barcenal. Le nom du village ? Barcenal. Ici, il n’y a qu’une rue, une quarantaine de maisons, pas besoin de plus, donc.

Au milieu du village – et de la rue, donc – deux ouvriers semblent avoir fini leur journée. Ils se dirigent vers leur voiture lorsqu’ils conseillent de s’adresser à leur patron, « un vrai fan d’Arsenal » , pour toutes les questions foot. Quand ce dernier ouvre sa fenêtre pour saluer, on comprend bien vite que ses ouvriers ont surtout voulu être tranquilles en se débarrassant du seul obstacle qui les séparait encore de leur maison. « Ha non, je ne suis pas fan d’Arsenal » , glisse ainsi Samuel, qui travaille dans la création et l’entretien de parcs et jardins. La petite discussion qui suit permet ainsi de savoir que le jeune homme barbu d’une trentaine d’années a toujours vécu à Barcenal – « je suis né en face » –, mais que le seul lien qu’il peut voir entre son village et le football, c’est le fait que certains clients pensent qu’il vit à Barcelone.

Une colloc de musiciens

« Quand j’étais petit, j’étais tout content de croire que j’habitais à côté du club espagnol » , lance un jeune gaillard d’une vingtaine d’années, le sourire dans la voix. À l’époque, Antoine allait très souvent à Barcenal pour rendre visite à ses grands-parents, dont il a repris la ferme, située en face de chez Samuel, il y a quatre ans. « Quand elle a été mise en vente, mes parents ont vraiment voulu qu’elle reste chez nous, donc ils en ont racheté une partie. » Une fois ses études terminées, Antoine s’est donc installé avec sa future femme dans l’exploitation familiale en mettant sur pied une coloc. « Tout était en commun, sauf les chambres. Et comme on était une majorité de musiciens, ça facilitait les moments en commun. » Depuis un an et demi, il vit néanmoins seul avec sa femme et son fils, Charlie, « un prénom d’un mec sympa » .

Barcelone-Arsenal, ça ne parle pas trop à Antoine. « Je ne sais rien du tout, à part que Messi joue au Barça, bien sûr. Arsenal, ils sont en mauve et blanc, non ?! J’ai jamais été trop fan du côté passif de mater du football. » Pendant ses années passées en équipes de jeunes, Antoine était ainsi surnommé « l’homme aux trois poumons » vu qu’il s’occupait presque à lui seul de l’entrejeu de son équipe. « Ça a bien changé depuis lors, je peux te le dire ! » glisse celui qui a remisé les boots avant même d’atteindre sa maturité. « Ce qui m’a fait arrêter, c’est la fermeture d’esprit du monde du foot : j’ai eu du mal avec certaines choses, comme les insultes que je prenais juste parce que j’ai les cheveux longs… Et puis, je n’aimais pas non plus l’excès de compétitivité. » Désormais, seules les grandes compétitions que sont l’Euro et la Coupe du monde trouvent grâce à ses yeux. Alors un huitième de finale de Ligue des champions déjà joué…

« Ce sont des fainéants »

Au début de la chaussée, une pancarte « Miel à vendre » est censée attirer l’œil du badeau, si du moins celui-ci ne roule pas trop vite. « Parce que depuis que la route a été refaite, c’est terrible : on entend un bruit fou, déplore Odette, sympathique septuagénaire qui accueille sur le pas de la porte de sa maison qu’elle occupe depuis 54 ans. Le soir, quand on est tranquillement devant la télévision, on dirait que les fenêtres sont ouvertes ! » Peu intéressée par le sport en général, Odette préfère parler de la situation de son village de cœur. « Dans le temps, c’était un village où l’on s’entraidait. Maintenant, les vieux partent et on ne se connaît plus. Mes voisins, je les connais jusqu’au numéro 5, mais après, c’est deux nouveaux ménages et c’est difficile de lier connaissance… Les jeunes viennent surtout pour dormir après le boulot, alors que nous, on est pensionnés. »

Son voisin, un certain Julien, qui a troqué sa place estivale sur un banc par la position plus confortable de son fauteuil, est du même avis. « Dans le village, à part d’Odette et de Marie-Josée, c’est rare quand tu as un « bonjour ». J’y pensais encore tantôt : désormais, tu vois des jeunes avec leurs pantalons retroussés, ce sont des fainéants » , balance-t-il en examinant le pantalon de son interlocuteur. Assez nostalgique du « bon vieux temps » , Julien est un personnage assez atypique : chapeau de chasseur vissé sur le crâne, barbe à la limite du hipster, le bonhomme facture déjà plus de 80 berges. Son intérieur, classique ardennais, est bercé par la voix off d’un journaliste qui présente un documentaire sur la faune et la flore. Quand on lui parle de Barcelone-Arsenal, Julien n’est pas au courant. « Ils le passent à la télévision ? Alors je regarderai. Mais je n’ai pas de préférence. De toute façon, il n’y a que de la tricherie, et les arbitres sont des voyous à abattre ! » Le foot, Julien ne l’a goûté qu’à travers ses fils, qui ont joué à Achêne, le village le plus proche possédant un terrain de foot.

Le sax, le fromage et Saint-Laurent

De retour aux environs de la ferme d’Antoine, on croise Pierre, en fin de quarantaine, qui vient relever son courrier. Lui non plus ne semble pas spécialement au courant du match prévu le soir même. « C’était combien le score à l’aller ?, interroge-t-il. Je sais qu’il y aDroit d’enquêtece soir à la télévision, mais si je suis maître de la télécommande, pourquoi pas (rires). » Pierre s’est installé à Barcenal avec sa famille il y a un peu moins de dix ans. Il ne partage donc pas la nostalgie d’Odette de Julien. « Il n’y a pas énormément d’événements organisés dans le village, mais il y a un barbecue annuel et on fait une messe chaque année dans la chapelle du château. » Problème : ils se retrouvent bien souvent à seulement cinq ou six pour prier Saint-Laurent, le patron du village qui protège des incendies. « À ce propos, si mon voisin entendait ça, il ne serait pas très content : il a eu le feu il n’y a pas si longtemps… Peut-être qu’il n’allait pas assez à la messe. »

D’apparence très calme, Barcenal passe même au statut d’engourdi et pas spécialement fédérateur dans la bouche de ses habitants. Il semblerait même que certains vieilles histoires aient créé des petits « clans » dans le hameau. « Le sujet tabou, c’est une servitude où beaucoup de gens allaient puiser de l’eau à l’époque, pose Antoine. Mais je crois qu’un mec a posé sa haie sur la route qui y menait ou un truc du genre, et du coup, ben, ça crée des problèmes. » Pour rythmer leur quotidien, Antoine et sa femme Camille s’éloignent de ces querelles et s’adonnent à la musique. Il est saxophoniste, elle est tromboniste et ils jouent dans le même groupe, Superska. Antoine va même jusqu’à vivre sa passion, puisqu’il est prof dans une école près de Namur. Camille, quant à elle, a fait des études d’histoire. Elle a ensuite exercé en tant que prof de religion, mais a bien vite compris que l’enseignement n’était pas fait pour elle. « J’ai besoin d’être dehors, mais pas en ville : on a vécu à Leuven à une époque, mais je n’aime pas le côté : « Tu sors, tu consommes. » » Désormais, Camille produit du fromage dans la ferme de ses beaux-parents. « Je l’ai vendu ici tout un temps, mais désormais, je vais plutôt sur des petits marchés pour la vente directe. À terme, j’aimerais un jour m’occuper d’une ferme pédagogique qui s’articulerait autour de l’histoire. »

Improvisation sur du foot

On l’aura bien compris : Barcenal n’est pas un village de foot, et encore moins de Barcelone ou d’Arsenal. Mais quand on creuse bien, on découvre de jolis mixes entre le foot et les activités des locaux. « Lors des qualifications pour la Coupe du monde 2014, on nous avait invités à Charleroi pour le match Belgique-Serbie avec mon groupe, se souvient Antoine. L’idée, c’était d’accompagner le commentateur et les supporters en improvisant totalement. C’était une expérience terrible ! Bon, on n’allait pas jusqu’à changer de note pour un hors-jeu signalé, mais c’était génial de pouvoir changer de tonalité, de rythme ou de style en fonction de l’intensité du match. »

L’après-midi se termine, il reste donc une seule question à poser : par tous les saints, que signifie donc ce mot « Barcenal » ? C’est Camille l’historienne qui s’y colle… « J’ai un livre sur les origines des noms des villages du coin. Ils disent que le nôtre remonte au XVe siècle, mais je me souviens d’avoir déjà vu une charte du XIe siècle. Dans le bouquin, il est écrit que Barcenal est la forme diminutive de Barcelle, qui vient de Barsos : branche ou broussaille piquante. » Le soir tombe sur Barcenal, Antoine s’apprête à retrouver sa famille après ses cours de musique dispensés en soirée. Avant de jeter un coup d’œil sur le match ? Même pas. « On n’a pas la télé. »

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