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Mekhloufi, le football et la révolution

Par Alexandre Doskov
Mekhloufi, le football et la révolution

Alors qu'une carrière exceptionnelle l'attendait en France, Rachid Mekhloufi a tout plaqué en 1958, tirant même un trait sur une Coupe du monde, pour intégrer l'équipe créée par le FLN. Une équipe née pour défendre la cause de l'indépendance de l'Algérie, que Mekhloufi et d'autres joueurs ont rejointe après une évasion rocambolesque.

Le 8 mai 1945, la France pousse l’un des plus gros « ouf » de soulagement de sa longue histoire : l’Allemagne vient de capituler. Enfin. Cinq ans après le traumatisme de la débâcle de juin 1940, des millions de Français sortent dans les rues pour défiler et célébrer, y compris en Algérie – alors département français. Une occasion historique de se montrer que les partis nationalistes algériens ne rateraient pour rien au monde. Dans la ville de Sétif, au milieu de la liesse populaire, ils organisent leurs propres manifestations en provoquant le courroux des autorités françaises. La punition est violente, sauvage : une semaine de répression et au moins 30 000 morts. Au milieu des corps mitraillés et des dépouilles trop abîmées pour avoir encore une identité, le petit Rachid Mekhloufi n’a que neuf ans. Natif de la ville, il assiste horrifié aux massacres et en gardera un souvenir vif et douloureux, comme tous les Algériens témoins de ces scènes. Treize ans plus tard, le 14 avril 1958, ce même Mekhloufi est bringuebalé dans une voiture qui fuit précipitamment, mais discrètement la ville de Saint-Étienne. À ses côtés, Abdelhamid Bouchouk, Abdelhamid Kermali et Mokhtar Arribi. Tous ont en commun d’être footballeurs professionnels, le premier au TFC, le deuxième à Lyon, le troisième larron étant devenu entraîneur d’Avignon après une longue carrière dans le championnat de France. Mais surtout, les quatre hommes sont des enfants de Sétif qui avaient entre neuf et vingt et un ans lors des tueries de mai 1945. Lancés vers la frontière suisse, ils laissent derrière eux une vie et une carrière pour rejoindre l’équipe d’un pays qui n’existe pas encore.

Une équipe dans la guerre

Au moment de l’échappée, Rachid Mekhloufi va sur ses vingt-deux ans et est déjà un magicien à Saint-Étienne. Sélectionné quelques fois avec l’équipe de France, il est l’un des grands espoirs du football français et se préparait tranquillement à s’envoler avec les Bleus pour le Mondial en Suède. Car si les indigènes d’Algérie sont des Français au statut flou souvent mal considérés par la France, niveau football, les choses sont claires. Un Algérien qui joue bien au football joue avec la France, un point c’est tout. Mais en ce mois d’avril 1958, en pleine guerre d’Algérie et alors que la capitale est encore fumante de la bataille d’Alger, les indépendantistes du FLN s’apprêtent à rebattre les cartes. Un casse monumental auquel personne ne s’était préparé, avec pour butin les meilleurs joueurs de foot algériens.

La genèse du projet est floue. À la baguette, Mohamed Boumezrag, ancien joueur de Bordeaux et du Mans, qui aurait eu l’idée de monter une équipe en revenant du Festival mondial de la jeunesse et des étudiants organisé en 1957 à Moscou. D’autres font remonter la naissance de l’idée à 1956 et au Congrès de la Soummam, une réunion au sommet entre presque tous les pontes de la lutte pour l’indépendance. Le FLN avait déjà créé des structures étudiantes et chez les travailleurs. Mais avec sa propre équipe de foot, il serait sûr de toucher un public plus large que jamais. Problème, la grande majorité des cracks algériens jouent dans des clubs français, Mekhloufi en tête. Une grande opération d’exfiltration des joueurs doit donc être organisée pour les emmener vers le Maghreb. Un frein minime pour Mohamed Boumezrag, dont le poste de directeur de la sous-division régionale algérienne pour la FFF lui permet d’accéder aux joueurs visés par son recrutement.

Les Expendables d’Algérie

Il rencontre chacun d’entre eux personnellement, et tente de les convaincre d’abandonner une carrière en France prometteuse et lucrative pour rejoindre une équipe fondée par un groupe considéré comme terroriste par beaucoup de Français, et qui prétendra représenter un pays en guerre pour son indépendance. Une folie. Boumezrag essuie quelques refus, mais plusieurs joueurs majeurs sautent dans l’aventure. Niveau superstar, Boumerzag enrôle Mustapha Zitouni, défenseur muraille de Monaco dragué par le Real Madrid, acteur majeur de la qualification des Bleus pour la Coupe du monde. Mais mettre la main sur Rachid Mekhloufi serait un succès total. Problème, son père est policier, et le FLN a peur que la star des Verts ne lui parle et fasse capoter l’évasion. Autre souci, Mekhloufi est militaire, membre du bataillon de Joinville, a même été champion du monde militaire en 57, et pourrait avoir peur de devenir déserteur.
Et alors que les futurs joueurs du FLN sont prêts depuis longtemps, Mekhloufi est prévenu au dernier moment, en avril, juste avant la 30e journée du championnat. Sainté est alors quatrième du classement, et doit affronter le mal classé Béziers à Guichard. Mekhloufi accepte immédiatement le deal – « Je n’ai pas hésité une seconde. Une grande majorité de Français ne connaissait rien de la situation en Algérie. C’est en apprenant notre engagement aux côtés du FLN qu’ils ont pris conscience de sa gravité » , jurera-t-il plus tard –, mais se blesse à la tête pendant la défaite de l’ASSE et termine à l’hôpital. C’est là que Kermali et Arribi viennent le chercher le lundi 14 avril au matin, avec un jour de retard sur le planning. En deux jours, ce sont dix joueurs algériens qui ont quitté la France clandestinement.

Le salut du Général

Les départs, en train ou en voiture, sont précipités. Les joueurs passent par la Suisse ou l’Italie, la plupart sans leurs affaires, parfois avec leur famille. Certains sont arrêtés, d’autres prennent des risques fous. La voiture de Mekhloufi est stoppée à la frontière suisse. Les douaniers le reconnaissent, mais n’ont pas écouté la radio qui annonce déjà la fuite de plusieurs joueurs algériens, et la laissent rouler vers Genève. Après ces galères, l’équipe se retrouve à Tunis, où sont installés des dirigeants du FLN soutenus par le président Bourguiba. L’aventure peut commencer. Pressée par la France, la FIFA ne reconnaît pas cette équipe et menace de sanctions ceux qui l’affronteront. Pas de quoi effrayer le Maroc, qui offre à l’équipe du FLN son premier match le 9 mai 1958. Plus de quatre-vingts suivront, presque toujours dans des pays adorant faire la nique à l’Europe occidentale, la Chine, le Vietnam, les pays de l’Est ou du monde arabe.

Mekhloufi ne cachera jamais le peu d’intérêt sportif de ces matchs : « Pendant quatre ans, j’ai disputé des matchs trop faciles et des entraînements sans rigueur. » Mais dans une guerre aussi importante en dehors que sur le champ de bataille, cette propagande par le sport unique au monde dure jusqu’au 5 juillet 1962, date de l’indépendance. Dans la foulée, la FIFA reconnaît l’équipe du FLN qui devient sélection nationale. « Vous avez fait gagner dix ans à l’Algérie indépendante » , leur jette Fahrat Abbas, président du Gouvernement provisoire de la République algérienne. L’année suivante, Mekhloufi revient à Saint-Étienne et y retrouve son statut d’icône. En 1968, il balance un doublé en finale de Coupe de France et offre le titre aux Verts. Au moment de lui remettre la coupe, le président de Gaulle se dresse face à lui, et clame : « La France, c’est vous ! » Une façon gaullienne de lui dire « Je vous ai compris ! »

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