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  • Coupe du monde 2014
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  • France/Nigeria (2-0)

Le syndrome de Deschamps

Par Thibaud Leplat
Le syndrome de Deschamps

La France est en quarts de finale, elle a donc raison. C'est la maxime qu'il faudrait retenir et placarder sur tous nos cahiers quand on doute, quand on hésite. Celui qui gagne a raison. Tous les autres ont tort, donc.

C’est une espèce de joie impossible, une façon de retenir toute la fierté qui remonterait de l’œsophage. La bouche fermée, on aurait l’orgueil là, coincé juste au bord du palais, prêt à servir, mais impossible à déglutir. On sait qu’il pourrait endommager l’édifice précaire de notre mémoire. On aimerait hurler qu’on est heureux, qu’enfin on a des raisons d’être fiers, de se peindre le visage, de croire aux promesses de bonheur. On irait partout dans les rues, on se jetterait sur toutes les images de nos héros, on serait fiers de Karim, Paul, Yohan comme avant eux Michel, Alain et Bernard ou Zizou, Lilian et Laurent. On aurait souffert en huitièmes de finale, pour sortir de notre groupe de qualif, mais on célébrerait toutes nos victoires comme des triomphes sur la mort subite. Nous poursuivrions notre quête au mépris des obstacles et des épreuves qui se présenteraient à nous. Le Paraguay n’était pas si loin du Brésil. 1998, c’était le sommet de notre épopée. Notre plus belle joie d’adolescent. On aimerait bien, on vous jure.

Qui ne saute pas…

Le président aussi montrait l’exemple en nous parlant de fidélité : « Je soutiens l’équipe de France, et quand on soutient l’équipe de France, on ne regarde pas tel ou tel match, on n’attend pas d’être en quarts de finale, on soutient l’équipe de France jusqu’au bout. Vous avez dit que l’on est à mi-chemin, ce qui compte ce n’est pas la mi-chemin, c’est le bout du chemin, c’est l’arrivée. Ça vaut pour tout ! » Oui président, ça vaut pour tout, mais quand on a été trompé une fois, on a du mal à faire de nouveau confiance, vous comprenez ça, c’est sûr. Et puis aujourd’hui, tout est différent. On a vieilli sans doute. À l’heure de s’installer devant un match de l’équipe de France, on ne peut pas s’en empêcher. Notre mémoire travaille, on ressasse. On a battu le Nigeria, le Honduras, la Suisse et l’Ukraine. On a même le « droit de rêver » , nous dit-on. Mais nous, ce qu’on voudrait, vous savez, c’est juste avoir le droit de se souvenir. On voudrait parler de notre jeunesse, de nos années de plomb. C’était les années noires, certes, mais c’était notre jeunesse quand même. Toutes ces émotions accumulées en 82, 84, 86, 93 (oui la Bulgarie, on avait pleuré, même), 98, 2000, 2006, 2010 sont aujourd’hui éparpillées ici ou là. Il y en a un peu dans la fierté de ces Brésiliens qui hurlent leur hymne aujourd’hui, dans le bonheur de nos frères algériens même quand ils perdent, dans cet orgueil des Costariciens quand ils remercient leur public. On aimerait rassembler tous ces petits morceaux de nous et reconstruire notre cœur bleu. Mais 2010 est partout, comme un passé qui ne passe pas. Comme un syndrome.

La culture de la gagne

Le syndrome de Deschamps, c’est cette façon que nous avons de toujours ranger nos joies et nos émotions dans le congélateur à chaque tour de qualification pour les conserver le plus longtemps possible, comme si on redoutait qu’elles ne pourrissent trop vite à l’air libre. Avec Didier Deschamps, on voudrait effacer une nouvelle chute déshonorante, comme si la honte insupportable se soignait en gagnant tout, absolument tout. Le syndrome de Deschamps, c’est la névrose de Knysna qu’on voudrait à tout prix enfouir sous une couche de victoires quel qu’en soit le prix à payer, quelle que soit la manière. « Seule la victoire est belle » , se plaît-il à nous répéter comme un Général De Gaulle bayonnais chantant la grandeur des nos aïeux au milieu d’une France dévastée par la trahison, la honte et la destruction. Évidemment, le foot, ce n’est pas la guerre, mais c’est la vie qui forcerait le trait, qui nous mettrait face à nos émotions bien enfouies. Hier soir, la France était le seul pays qualifié en 1/4 de finale qui en tira des conclusions sur sa substance. Tandis que les Costariciens parlaient de la joie de continuer dans ce « tournoi » , que les Allemands ne s’étaient pas trouvés « fantastique(s) mais (ont) gagné » , que les Hollandais tâchaient de « rester modestes » , les Français, nous donc, avions une revanche à prendre sur le reste du monde. Didier Deschamps nous martela, comme pour qu’on y crût enfin, qu’il était « fier de faire partie des huit meilleures équipes du monde » . Oui, du monde.

L’histoire de la France

Alors, bien sûr, qu’on est contents. Mais comment, en si peu de temps, passer de la honte à la fierté ? La victoire finale donne-t-elle toujours raison à celui qui gagne ? Dans ce cas, pourquoi ne pas disputer uniquement les séances de tirs au but ? On éviterait tous ces débats, qu’ils trouvent futiles, sur la forme et le fond, la matière et la manière, sur le jeu et le résultat. « Notre référence, c’est 1998 » , nous promettent-ils. Ce qui compte, c’est « la gagne » , assènent-ils. Mais quelqu’un leur a-t-il dit que si 1998 fut beau malgré Guivarch, Dugarry, Diomède et les trois milieux défensifs, c’est parce qu’il arrivait après 1993, les deux non-qualifications pour les Tournois italien et américain ? Quelqu’un leur a-t-il dit que jamais en 1998, nous n’avions rêvé de remporter cette finale ? Nos exigences furent remplies dès les demi-finales. On savait bien qu’on ne gagnait pas une Coupe du monde à force d’injonctions et de grands souhaits. On savait se satisfaire d’une France à la hauteur de l’événement. On savait que le meilleur ne gagnait pas toujours. Et puis en 98, on avait beau s’enfermer derrière notre défense, on avait Zizou. À chaque contrôle, chaque passe, on savait que le monde admirait l’un des nôtres, que la Terre entière s’arrêterait devant nous, juste pour regarder notre meneur de jeu faire une talonnade. Personne ne regardait la France pour voir les tacles de Didier Deschamps. Alors oui, aujourd’hui, on a du mal à être entièrement heureux après le Nigeria. On est contents pour eux, certes, les Pogba, Cabaye et Valbuena. Mais on se demande toujours s’il y a des raisons d’être fiers de notre jeu, de notre idée du football. « Aller le plus loin possible » n’est pas une maxime satisfaisante pour les nostalgiques. Ce qui compte, pour nous, c’est le récit, l’épopée. Ce qui compte, c’est l’histoire qu’on (se) raconte.

Les Lyonnaises et la revanche européenne

Par Thibaud Leplat

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