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Le Real Madrid, cimetière des idoles ?

Par Markus Kaufmann
Le Real Madrid, cimetière des idoles ?

Lorsque le départ de José Mourinho avait été mis sur le compte du décalage entre « les façons » du Portugais et les attentes de son club, tout Madrid avait rappelé que le Real Madrid est au-dessus des individualités. Mais lorsque Carlo Ancelotti a été sifflé par le Bernabéu trois mois après lui avoir donné le titre de champion du monde des clubs, personne n'a compris le petit jeu du public de la Castellana. À force de se revendiquer « exigeant », le Bernabéu est en train d'incarner une certaine idée – troublante – du football du futur : un sport qui transforme les clubs en marques, et les idoles en vulgaires stars.

Mardi 10 mars 2015, huitième de finale retour de la Ligue des champions entre le Real Madrid et Schalke 04. Les Madrilènes viennent de faire match nul contre Villarreal et de perdre à Bilbao. Lors de l’annonce des joueurs, le public du Bernabéu se fait entendre une première fois : des sifflets tombent pour Iker Casillas, Cristiano Ronaldo et Carlo Ancelotti. Lors de la rencontre, les oreilles de Bale et Casillas auront droit à de nouvelles infâmes mélodies. Dimanche 15 mars 2015, vingt-septième journée de Liga. Alors que le Real Madrid s’impose deux à zéro contre Levante, les sifflets tombent à nouveau sur Cristiano. Non, les trente buts et onze passes décisives (en vingt-sept journées) n’ont pas suffi. Ni même le doublé salvateur contre Schalke 04. Le Bernabéu a tous les droits, et il siffle, gronde et boude quand il en a envie. Et surtout sur qui il veut : joueurs, entraîneurs, dirigeants, présidents, ultras… Et tant pis si le Portugais aura bientôt marqué 300 buts pour le maillot blanc. Il paraît que ce droit lui vient directement de tout là-haut, c’est-à-dire de l’indiscutable « prestige de l’institution » . Il y a trois mois, pourtant, tout semblait aller pour le mieux du côté de la capitale espagnole, remise au centre du monde du football par ces mêmes individualités. Mais en 2015, le Bernabéu semble avoir fait du refus de se dévouer une véritable culture. Sauf que ça n’en est pas une.

« Zidane a été sifflé ici, tout comme Ronaldo et Cristiano. Pourquoi, moi, je ne pourrais pas être sifflé ? »

Sur la Castellana, le rapport entre le mérite du club en tant qu’entité et les exploits individuels est devenu plutôt complexe. Dans le contexte spécial de l’arrivée de José Mourinho en 2010 – le Portugais champion, le Real éliminé par Lyon – la capitale espagnole s’était inquiétée du rapport de force entre l’égo de l’entraîneur et le prestige délaissé du club. Après trois années fortes en émotions, la bataille s’était finalement terminée sur un triste match nul perdant-perdant. Pourtant, le Real de Mourinho a gagné des titres, battu des records, affaibli le Barça, retrouvé sa grandeur et un projet de jeu. Mais aujourd’hui, le Real n’a jamais exprimé une quelconque gratitude envers un entraîneur dont la responsabilité dans la quête de la Décima est pourtant très importante, et José Mourinho n’est certainement pas satisfait de sa fin à Madrid. Il y a un malaise. Ainsi, quand la docilité de Carlo Ancelotti est arrivée, Madrid a lâché les armes. Le Bernabéu semblait enfin heureux, souriant, reposé. Madrid continuait à gagner. Ancelotti n’avait pas vraiment modifié les principes de jeu de Mourinho, mais peu importe, car l’entraîneur italien parvenait à faire sentir à son public qu’il gagnait grâce au club, et non l’inverse. Et le Bernabéu s’en contentait. Et applaudissait.

Mais aujourd’hui, dès que l’ombre d’un échec apparaît, le Bernabéu ne peut s’empêcher de laisser ses sifflets tomber. Cristiano, en plein milieu d’un moment personnel difficile, pensait obtenir le soutien de son public. Mais le Bernabéu ne « soutient » pas. En mars dernier, déjà, Cristiano avait été sifflé à la suite de deux défaites contre le Barça et Séville, alors que le Real battait le Rayo 5 à 0. En janvier 2012, le Real Madrid de Mourinho est leader de Liga avec cinq points d’avance. À cette époque-là, Mourinho n’a pas encore mis Casillas et Ramos sur le banc. Le moment pourrait être idyllique. Mais le Real vient de perdre l’aller d’un quart de Coupe du Roi contre le Barça (1-2). Alors que Mourinho s’apprête à recevoir l’Athletic Bilbao de Bielsa au Bernabéu, il se fait intensément siffler. Mourinho l’emportera 4-1, mais les sifflets ne s’arrêteront pas. « Zidane a été sifflé ici, tout comme Ronaldo et Cristiano. Pourquoi, moi, je ne pourrais pas être sifflé ? » , lâchera le Portugais.

De San Iker à ça

D’après le dictionnaire, une idole est une « personne qui est l’objet d’une tendresse ou d’une admiration passionnée de la part de quelqu’un » . C’est « l’objet d’un culte d’adoration » . L’idole se déplace ainsi à la frontière du religieux et du mythologique. Mythique, elle vole au-dessus des critiques, sifflets et autres jugements temporaires. L’idole est intouchable, divine, vénérée. Or, ce n’est le cas de personne aujourd’hui au Real Madrid. Car Mourinho a raison : ils ont tous été sifflés. À Madrid, on a remplacé le soutien par l’utilité et le tri. On choisit, on utilise, on use et on jette. Dans les années 2000 et 2010, les projets galactiques et le désordre institutionnel de Calderón ont provoqué une concentration soudaine d’arrivées grandiloquentes. Les meilleurs joueurs du monde sont passés par le Real sans laisser une marque indélébile. Depuis Zidane, qui a donc lui aussi été sifflé, personne n’a su s’inscrire dans les codes inviolables de l’affection du Bernabéu. Ronaldo, Van Nistelrooy, Higuaín, Robinho, Robben, Cannavaro, Sneijder, Özil, Di María… Tous sont aujourd’hui ou ont été des légendes ailleurs. Et personne ne se souvient du chant que le Bernabéu avait inventé en leur honneur. Même Sergio Ramos et Pepe ont été lourdement critiqués.

Parce que la culture de l’idole est inexistante. Un phénomène étrange a d’ailleurs été observé : ces joueurs ont souvent réalisé des performances extraordinaires, semblant « libérés » lors de leurs premiers pas au sein de leur nouveau club. Sneijder avait fait des débuts géniaux en plein derby à l’Inter, Robben s’était éclaté avec Ribéry, Robinho nous avait fait croire qu’il allait dominer la Premier League, tout comme Özil et Di María. Évidemment, le cas le plus intéressant est celui d’Iker Casillas. Avant, Casillas était San Iker. Contre Schalke, le numéro 1 a été le joueur le plus sifflé de la rencontre. Car personne ne réussit plus à percer le cœur du Bernabéu. Guti, longtemps sifflé, est parti par la petite porte avant l’arrivée de Mourinho. Xabi Alonso avait gagné les travées madrilènes par sa hiérarchie, sa classe, son intelligence et son madridisme, mais avait refusé de terminer sa carrière au club. Finalement, la dernière idole restera donc Raúl. Le club collectionne les stars, mais ne sait plus produire d’idoles.

Le football qui court vers le futur

La source de ce paradoxe est peut-être à chercher dans l’évolution globale du club de football moderne. Ayant justement bénéficié de l’impact médiatique de la présence de José Mourinho, le Real a économiquement rattrapé les clubs de Premier League ces dernières saisons. Aujourd’hui, « l’institution » Real Madrid est devenue une immense marque. Et en tant que marque, il se trouve qu’elle est directement en concurrence avec ses propres joueurs. En 2009, Cristiano Ronaldo a bien coûté 25% du chiffre d’affaires du club, soit l’équivalent des revenus de la billetterie. Cela peut paraître futile, mais sur Facebook, CR7 compte vingt millions de fans de plus que son propre club (100 millions contre 80 millions). Évidemment, on est loin d’affirmer que le public du Bernabéu siffle à la suite de sombres calculs, mais l’idée est là : contrairement à d’autres grands clubs européens, le Real est devenu trop grand pour se montrer dépendant d’un seul nom ou d’un seul talent. Pour le Bernabéu, il semble essentiel de démontrer dès que possible que le Real ne se limite pas à Cristiano. Or, cette logique n’existait pas il y a quelques années. Raúl, en attendant, n’a pas de page officielle sur les réseaux sociaux.

Juanito et le Parc

Mais il fut un temps où le prestige du Real Madrid et la survie de ses idoles n’étaient pas incompatibles. Dans les années 1980, Juanito porte le numéro 7 du Real. Et il n’a pas besoin d’être un as pour être l’idole absolue du Bernabéu. Milieu offensif bagarreur, l’Andalou sanguin donne corps et âme pour le maillot blanc. Après avoir essuyé ses crampons sur la joue de Lothar Matthäus et écopé d’une suspension de toute compétition européenne pour cinq ans, le 7 est même soutenu par les siens. Leo Beenhakker « comprend » le geste, le club râle sur l’arbitre. Depuis maintenant une vingtaine d’années, la septième minute d’un match au Bernabéu est consacrée à Juanito avec le chant « Illa Illa Illa Juanito Maravilla » . Pour les vingt ans de la mort tragique du numéro 7, le Fondo Sur du Bernabéu avait même tendu un immense tifo en son honneur le soir de la demi-finale retour de C1 2012 contre le Bayern Munich. Par la suite, il y a aussi eu Hierro, Sanchis, Salgado. Mais après ?

Si les idoles ont disparu, il faut peut-être pointer du doigt l’évolution du stade Santiago-Bernabéu. Dans les années 1980, Juanito avait été canonisé par le public populaire du virage sud, qui achetait sa place dans une immense tribune debout pour quelques pièces. Or, ce Bernabéu-là n’existe plus. Les places sont assises et valent une belle somme dans un pays où le salaire minimum reste de 750 euros par mois. Alors, forcément, le public du Bernabéu n’a plus rien de populaire. Il n’en a ni les angoisses des fins de mois ni le besoin de héros. Lui, il veut des victoires et du spectacle. Et si le Real Madrid est bien avant-gardiste, le Bernabéu semble essayer de nous dire ce que sera le football de demain… Le phénomène a pu être observé ces dernières saisons à Paris, où le « nouveau Parc » a choqué pour une exigence insensée basée sur un manque de culture, de manières, de « savoir-supporter » . Après tout, une star n’est rien de plus et rien de moins qu’une « vedette d’un domaine du spectacle » . Comme une étoile, elle peut monter et redescendre aussitôt. Avant, pourtant, les idoles restaient là-haut pour toujours. Comme Juanito.

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Par Markus Kaufmann

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