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Le fond du critère (2/3)
Après avoir évoqué les tourments du sélectionneur dans l'épisode 1 de notre "mode d'emploi pour une liste", abordons maintenant sa réflexion footballistique. Prendre le classement des 23 meilleurs joueurs de l'année ne suffit pas, tout est calcul, coups de poker et nitroglycérine.
On l’imagine fébrile, les mains moites, conscient que ce qu’il va écrire sur sa feuille A4 ou son Paperboard va être analysé, critiqué, raillé par la France entière. Au moment de dessiner les noms de ses 23 apôtres, le sélectionneur pèse un milliard de fois les arguments de chacun. Mais chacun dispose de sa propre balance et de ses propres poids, qui peuvent sans doute être classés en deux catégories. Grossièrement, cela donne : la qualité individuelle d’abord OU la prime à un schéma tactique pré-établi. Dans les faits, la frontière est évidemment ténue.
« Pour moi, la tactique est seconde par rapport à la qualité des joueurs, envoie Michel Hidalgo, sélectionneur à l’ancienne, avant de nuancer. Mais il faut faire quelque chose en fonction de ce qu’on aime dans le football. Moi j’aimais le football offensif, en Espagne j’avais Genghini, Giresse, Platini et Tigana. On ne peut même pas dire qu’il y avait un milieu défensif : Tigana faisait 59 kilos » . Les derniers sélectionneurs, eux, ont souvent eu l’air de pencher pour la seconde option, comme le confirme Philippe Bergeroo. « Les quatre sélectionneurs avec lesquels j’ai travaillé partaient d’un système de jeu et trouvaient les joueurs adaptés à ce système de jeu » , se souvient celui qui a déroulé du câble sur le banc français entre 1990 et 1998.
Domenech, le Mourinho du pauvre
Sélectionneur des Espoirs, Erick Mombaerts pousse le concept un peu plus loin et théorise en trois étapes : « Le premier critère, c’est l’aptitude du joueur à se fondre dans un projet collectif. Après cette première étape, le deuxième filtre est celui de la compétitivité. Il faut être titulaire, en tout cas le plus souvent. Et si on n’est pas toujours titulaire, il faut être performant. Le troisième filtre, ce sont les qualités propres, les points forts, toujours par rapport au projet de jeu. Au milieu de terrain, vous avez des joueurs qui ont un profil de récupérateur, très défensifs, alors que dans le projet de jeu que je défends, même les joueurs qui sont placés en milieu défensif doivent avoir une bonne capacité à faire circuler le ballon, à décider vite et à jouer vers l’avant » .
Raymond Domenech, lui, semble être revenu aux vieilles méthodes. Il affirme à qui veut l’entendre qu’il ne comprend pas ce que veut dire l’expression “projet de jeu” et déclarait dans So Foot, il y a un an : « Je préfère m’adapter, moi, à la qualité des joueurs » . Mais ne tirons pas trop facilement sur l’ambulance Domenech. Malgré cet air de ne pas vraiment savoir ce qu’il fait, Raymond est maintenant sélectionneur depuis 17 ans (il a pris les Espoirs en 1993) et doit commencer à connaître le job. En fait, son projet de jeu est de contrer celui des autres, de s’adapter à chaque match, comme il l’assène à David Astorga à chaque sortie. Une sorte de José Mourinho en moins efficace et moins classe, en somme…
La stratégie de la surprise
Dans le processus qui l’amène à sa liste des 23, les critères seront donc davantage “quels joueurs me permettront de faire face au maximum de situations ?” » . C’est peut-être ce qui explique les “surprises” auxquelles notre sélectionneur préféré nous a habitués, mais pas seulement. « S’il y a des surprises, c’est parce qu’à un moment donné, il n’y a pas assez de joueurs qui font l’unanimité, estime Mombaerts. J’ai entendu les propos de Raymond il n’y a pas longtemps, il a dit qu’il avait déjà 18 noms, je crois. Donc les surprises viennent du fait que peut-être on n’arrive pas à aller jusque 23 noms où le consensus était total » . Mais les Chimbonda, Gomis et Ribéry (n’oublions pas qu’il n’avait pas été sélectionné avant la coupe du monde) étaient aussi là pour remettre de la nitro dans le kart.
« C’est important qu’un sélectionneur mette la pression sur des gars qui se croient installés, acquiesce Bergeroo. Il y a aussi des moments où on se dit “lui, il ne va peut-être pas beaucoup jouer, et il ne va pas bien le prendre”. Alors que quelqu’un qui vient pour la première fois va le vivre forcément différemment » . Un bon point pour Valbuena ? Toujours est-il que nous quittons ici le terrain pour nous immiscer dans les méandres de la psychologie d’une liste. L’objet de l’épisode de demain.
A lire : Partie 1, Seul dans la foule
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