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Junior Malanda, la fureur de vivre

Par Christophe Gleizes, Martin Grimberghs et Ali Farhat
Junior Malanda,  la fureur de vivre

C'est une erreur de jeunesse, comme tant d'autres, qui a subitement brisé un destin doré. Lancé à toute allure vers les sommets, le prometteur Junior Malanda a péri d'un excès de vitesse sur une autoroute allemande le 10 janvier dernier. Sous le choc, ses anciens coéquipiers et amis pleurent un jeune homme exemplaire et surdoué, enterré aujourd'hui à Bruxelles devant des personnes réunies par milliers.

Telle une perfusion d’adrénaline pure, l’aiguille du compteur a doucement empli ses veines d’une sensation d’extase. Chaque kilomètre avalé, chaque voiture dépassée sonnaient comme la promesse d’une intensité nouvelle. Quand on est lancé à toute allure sur l’autoroute, les émotions se confondent pour ne plus former qu’un entre-deux incertain et grisant entre la vie et la mort. L’amour du risque a ceci d’haletant qu’il comble notre existence intérieure d’une félicité insondable : les plus braves savent que c’est en risquant de tout perdre que l’on gagne vraiment. Cette vérité, Junior Malanda la connaissait. Peut-être a-t-il exulté quand Anthony d’Alberto, son ami, a pressé l’accélérateur. À l’origine, c’était un coup de main amical pour l’amener auprès de ses coéquipiers, prêts à s’envoler pour un stage en Afrique du Sud. La suite, c’est une violente embardée, un accident terrible, un clap de fin sur un destin doré. Installé sur la banquette droite arrière du véhicule, sans sa ceinture bouclée, Junior Malanda est mort sur le coup. Gravement blessés, le conducteur et le passager avant s’en sont miraculeusement sortis. Il n’y a pas d’égalité face à la grande loterie.

« Il arrive de se sentir insubmersible »

Ironie macabre, c’est un excès de vitesse qui aura tué le plus grand espoir belge, lancé à toute berzingue vers les sommets. Habitué à sauter les étapes, Junior Malanda n’avait pas peur d’avancer, armé d’un aplomb impressionnant et d’une précoce maturité. « À l’école, quand le professeur cherchait des candidats pour être responsable de classe, j’étais toujours le premier à lever le doigt » expliquait-il récemment, en bon élève. « En football, j’essaie toujours de motiver et de soutenir mes coéquipiers. Même après une défaite, car un capitaine doit répondre présent dans les moments difficiles. » Doué, attachant, déterminé, Junior Malanda forçait l’admiration de tous ceux qui l’ont côtoyé, à l’image de Marc Van Geersom : « C’est choquant. C’était mon capitaine pendant deux ans, chez les U18, puis les U19. Junior, c’était un mec exemplaire qui savait se faire respecter et prendre un groupe en main. Il avait des qualités tellement rares pour un joueur de son âge. C’est une très grande perte pour le football belge. » En dépit de son sérieux, une erreur de jeunesse lui aura coûté la vie. « On a tous eu 20 ans » regrette Jean-François Rémy, qui l’a connu avec les Diablotins : « C’est un âge où l’on peut par moment manquer de jugement. Un âge auquel on n’a pas les mêmes perspectives et où il arrive de se sentir insubmersible. Mais cela reste aberrant et incompréhensible. »

Les mots manquent pour décrire la peine ressentie par ses proches, unis dans la douleur et la retenue. « La veille à 17h, il était chez moi » se souvient Josuha Guilavogui, comme si c’était hier : « On avait organisé son voyage pour l’Afrique du Sud. Ensuite, je suis allé en France, où je n’utilise pas beaucoup mon portable allemand. Mon cousin m’a appelé plein de fois dessus, en vain. Puis ma mère m’a téléphoné, m’a dit que c’était urgent. J’ai compris que c’était grave. Il m’ont dit que Junior était mort. Je n’y croyais pas. J’ai regardé mon portable allemand, j’avais une dizaine d’appels en absence. Perišić, De Bruyne, Klaus Allofs – notre directeur sportif. C’est là que j’ai pris conscience de ce qui était arrivé. » Très vite, la nouvelle de l’accident se répand comme une traînée de poudre. Les hommages et autres éloges appuyés ne tardent pas à affluer sur les réseaux sociaux, dévoilant un sentiment unanime de consternation et d’incrédulité mêlés. « C’est une vraie catastrophe. Le plus terrible est de se dire qu’on ne peut plus rien faire » , a balbutié Marc Wilmots, le sélectionneur des Diables rouges, face à la presse. « On perd un gamin de vingt ans, on perd un grand capitaine de nos espoirs, un joueur aux qualités humaines exceptionnelles. »

« Un leader dans l’âme »

Né en août 1994, Bernard Malanda-Adje, de son vrai nom, a tapé ses premiers ballons dans la banlieue de Bruxelles. « Quand j’ai commencé à jouer au foot, vers cinq ans, j’étais déjà plus costaud que mes coéquipiers, ils me disaient que je ressemblais à un ours » confiait-il en 2013 à Foot Magazine, « mais pas à un ours en peluche, hein, un vrai. » . Tour à tour recruté par le FC Brussels et le RSC Anderlecht, où il reste deux saisons, le jeune espoir gravit les échelons. Jusqu’à attiser l’intérêt du LOSC, qui l’accueille dans son centre de formation à l’âge de treize ans. Sa progression au poste de milieu défensif, et parfois d’arrière droit, se poursuit au domaine de Luchin, dans une promotion qui verra notamment éclore un certain Lucas Digne. Auteur de performances remarquées, il reste néanmoins barré par une concurrence fournie en équipe première, qui l’invite à temporiser. Mais Junior est un homme pressé. Avide de temps de jeu, il s’engage finalement en juillet 2012 avec l’équipe de Zulte Waregem, en Belgique, dans ce qui s’apparente alors à un abandon. « Junior, c’était un mec qui avait la volonté d’arriver et de réussir. C’était un gagneur dans le sang. Pour cela, il a su prendre des choix pas toujours faciles, comme quand il a quitté Lille » , tempère à raison Jean-François Rémy, l’entraîneur adjoint des Espoirs. Ce premier risque va en effet s’avérer payant. Aligné aux côtés de Jonathan Delaplace, Junior rayonne au milieu de terrain, au point de rapidement s’imposer comme un joueur-clé de l’équipe. « Il est arrivé après toutes les recrues, il réglait encore des détails avec Lille » se rappelle Frédéric Gounongbe, son ancien coéquipier, très marqué par la tragédie : « Mais dès le premier entraînement, il nous en a mis plein la vue. Il avait d’énormes qualités physiques. La preuve : il a explosé tous les records dans les batteries de tests, que ce soit en détente, en squat, etc. Il était dispensé des séances de muscu. Une vraie force de la nature. »

Chapeauté par Franck Dury, Junior Malanda impressionne et devient, avec Thorgan Hazard, la nouvelle attraction du championnat. Le petit frère plante les buts, Malanda les lui prépare, les deux s’éclatent et se découvrent. Ancien coéquipier des deux lascars, le Sochalien Raphaël Cáceres va être témoin d’un vrai coup de foudre amical : « En tant que francophone, je passais plus de temps avec eux deux qu’avec d’autres. Mais eux deux, ils s’aimaient beaucoup, c’étaient de vrais potes. » Grâce au magnifique jeu proposé, Zulte occupe la tête du classement entre la 11e et la 13e journée et n’est jamais loin des premières places, n’abandonnant la lutte pour le titre que lors des toutes dernières journées. Tout auréolé de ces succès, le joueur commence à attirer la convoitise de nombreux clubs anglais. « Il savait où il voulait aller » reprend Gounongbe dans un souffle, « mais il ne pensait pas aller si vite. » Dès le mois de janvier 2013, Fulham propose 4 millions d’euros. Pas assez au goût de Zulte, qui fait monter les enchères, sans réaction. Mais on ne retient pas impunément un tel boulet de canon. À l’été, le prodige casse son contrat et signe pour cinq ans à Wolfsburg, qui le reprête dans la foulée pour la première partie de saison. « Le club a sans doute commis une erreur en ne revalorisant pas son salaire lorsqu’il a commencé à faire l’objet d’un intérêt » explique alors un Franck Dury dépité, autant attristé par sa direction que par le comportement de son joueur préféré. Peu rancunier, le principal intéressé est lui déjà concentré sur son futur : « Il s’est passé des choses dans ce club que ni moi ni ma famille ne pourrions accepter ! Je préfère toutefois ne pas en parler. Je veux même remercier Zulte Waregem de m’avoir lancé définitivement la saison dernière. Nous avons vécu ensemble une très belle saison. J’avais une très bonne relation avec Dury, mais maintenant, c’est fini. »

« Malgré sa réussite, il n’oubliait pas les gens »

Après avoir goûté aux barrages de Ligue des champions, Junior débarque en Allemagne en plein hiver, pour s’installer sur le banc. Titularisé pour la première fois au mois de mars, sa saison bascule un mois plus tard après une double blessure aux ligaments. Remis sur pied pendant l’été, il s’affirme, mais rate coup sur coup deux énormes occasions en début de saison, contre le Bayern et Francfort. « Je ne me suis pas trop foutu de sa gueule sur le moment ; c’était mon pote, ça se voyait que ça l’avait affecté. Junior, c’est quelqu’un qui voulait toujours bien faire, c’était un grand compétiteur. Sur le moment, il était dégoûté, mais par la suite, on en a beaucoup rigolé » , se rappelle Josuha Guilavogui, qui n’a pas tardé à se lier d’amitié avec le jeune espoir, en dépit de la concurrence : « On ne s’est retrouvés que deux fois ensemble dans le onze de départ. J’ai joué pratiquement tous les matchs comme titulaire, lui se battait pour sa place. J’avais plus d’expérience que lui, je lui donnais des conseils. Il se projetait énormément vers l’avant, ce que moi je fais beaucoup moins. C’était un milieu défensif nouvelle génération. » À l’horizon se profilait alors la sélection des Diables rouges. « Il alliait une puissance athlétique incroyable avec une technique très précise, en plus de se montrer d’une grande générosité sur le terrain » décrit Jean-François Rémy, sous le charme d’un diamant brut pas tout à fait poli : « Il est clair que son tempérament faisait de lui un futur international. Ça aurait pris encore un an ou deux, le temps de mûrir encore son jeu, mais je pense qu’il y serait arrivé. Malheureusement, on ne le saura jamais. »

Brisé dans son élan, Junior laisse derrière lui une famille endeuillée et une immense déception. Plus encore que le joueur, c’est l’homme qui sera regretté. « Il était unanimement apprécié. Tant dans le milieu du football qu’en dehors, ce qui est plus rare » reprend Jean-François Rémy, bientôt relayé par la voix attristée de Josuha Guilavogui : « On n’avait pas beaucoup d’écart, quatre ans seulement ; on avait les mêmes centres d’intérêt, les mêmes sujets de discussion, ça a été l’un des premiers joueurs vers lesquels je suis allé. Il parlait parfaitement le français, donc c’était facile. C’est avec lui que j’ai commencé à m’intégrer. Il me traduisait les consignes du coach, il m’a invité au resto pour me montrer la ville, il m’a montré où on pouvait se coiffer, etc. On a développé une véritable amitié. Lors des mises au vert, on était dans la même chambre. On mangeait tout le temps ensemble, on se marrait à table… À l’entraînement, quand on n’était pas ensemble, les coachs le remarquaient de suite, chacun était plus silencieux… C’était vraiment un très très bon ami. » Accablé, Frédéric Gounongbe conclut le portrait : « Il n’était jamais hautain, n’avait jamais de mots déplacés : bien au contraire, il était calme et posé. C’était un bon vivant, avec qui on pouvait rigoler. Une force tranquille. Quand il est parti à Wolfsburg, nous sommes restés proches. Malgré sa réussite, il n’oubliait pas les gens. »

« Mourir à 20 ans, c’est cruel, c’est injuste »

Ces derniers se sont ce matin réunis par milliers pour la cérémonie des funérailles, qui s’est déroulée à la basilique de Koekelberg, à Bruxelles, à quelques centaines de mètres de son quartier d’enfance. Comme tous les joueurs du VfL Wolfsburg ou d’Anderlecht, Josuha Guilavogui est venu se recueillir pour rendre un dernier hommage à celui qu’il considérait comme son « frère » . « Voir tout ce monde à son enterrement, cela montre à quel point il était aimé » détaille l’international français, avant d’ajouter, l’esprit embaumé : « Je ne réalise pas encore. Je pense que ce sera le cas quand je serai de nouveau dans le vestiaire. Cela va être difficile pendant un moment. » Abattu, Marc Wilmots ne pourra pas le consoler : « Il n’y a pas d’âge pour mourir, mais 20 ans, avec toute la vie devant soi, c’est cruel, c’est injuste. » Las ! Au firmament d’une vie remplie d’émotion, d’adrénaline et de gaieté, une bêtise aura tout emporté. Mais pas le souvenir d’un homme que tous ont aimé.

Émerse Faé : « J'ai juste fait mon travail »

Par Christophe Gleizes, Martin Grimberghs et Ali Farhat

Propos de Jean-François Rémy, Marc Van Geersom et Raphaël Cáceres recueillis par Martin Grimberghs, ceux de Josuha Guilavogui et Frédéric Gounongbe par Ali Farhat

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