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Joseph-Marie Minala : « Il n’y a que le ciel qui pourra m’arrêter »

Propos recueillis par Christophe Gleizes
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Moqué pour son physique de quadragénaire, Joseph-Marie Minala l'assure : il n'a jamais menti sur son âge. À part ça, l'espoir camerounais nous conte avec émotion son histoire longtemps contrariée, entre ferveur à Yaoundé, jalousies terribles et rendez-vous manqués.

Salut Joseph, comment ça va ?

Très bien, merci. Là, je suis en vacances en Sardaigne avec mon pote Ousmane Dabo, on profite bien. Demain, je pars en avion pour le Cameroun. Je vais me faire une semaine au pays, histoire de revoir la famille. Et après, c’est la reprise…

Avec la Lazio ?

Non, pas vraiment. À la base, la Lazio voulait me garder dans le groupe cette saison, mais les dirigeants m’ont fait une faveur. Avec le club, on a décidé d’un commun accord que je ferai une autre année en prêt, à l’Unione Sportiva Latina. La saison passée, à Bari, je n’ai pas eu l’occasion d’évoluer comme je l’aurais souhaité. Je me suis blessé à la cheville en début d’année, je n’ai pas pu avoir la continuité que je cherchais. Quand je suis revenu sur les terrains, j’ai pu montrer mon niveau, mais je veux vraiment jouer une année pleine pour progresser encore.

Avec Bari, tu as marqué ton premier but chez les pros et tu as joué 19 matchs malgré une blessure à la cheville. Est-ce une forme d’accomplissement sachant tout ce que tu as traversé ?

Je reste satisfait de ma saison en Serie B, même si je n’étais pas à 100%. Au moment de ma blessure, j’avais vraiment la rage au fond de moi. Cela a complètement freiné mes ambitions, je n’ai pas pu aider l’équipe dès le début. Par la suite, enchaîner les matchs m’a permis de prendre conscience de ce que je pouvais apporter, et de ce qu’on pouvait attendre de moi. J’ai fait une très bonne deuxième partie de championnat, donc je suis content sur le plan personnel, même s’il me reste beaucoup à travailler.

Entre-temps, tu en as profité pour découvrir la sélection camerounaise…

Oui, j’ai joué deux matchs avec les Espoirs, et j’ai même marqué un but contre le Sierra Leone. C’est une grosse satisfaction. Pour moi, c’est le plus beau maillot du monde, le seul maillot que je ne trahirai jamais. Porter les couleurs de son pays, on s’en souvient toute sa vie.

Tu as d’ailleurs décliné une possible sélection en Nazionale

Oui, j’ai refusé une sélection espoir en équipe d’Italie. J’étais très flatté et je remercie les Italiens de m’avoir appelé pour défendre leurs couleurs, mais pour moi, la question ne se posait même pas, je ne peux pas trahir le maillot des Lions. C’est une fierté de porter le maillot de mes ancêtres, c’est mon pays et je veux le représenter.

À ce titre, il paraît que tu as déjà ton fan-club à Yaoundé…

Mon fan-club, c’est un peu exagéré (rires). C’est juste qu’en arrivant en sélection, mon nom avait déjà été martelé dans la presse du monde entier. Le fait que je sois sélectionné en espoirs a éveillé la curiosité. J’étais attendu. Beaucoup de gens sont venus me soutenir au stade et ma famille a fait une grosse fête. Chez nous, tous les jours c’est la fête, mais là vraiment, pour ma première sortie avec les Lions, c’était un gros truc…

Quand on évoque les Lions indomptables, tu penses à quoi ?

Je me souviens forcément de la médaille d’or aux Jeux olympiques de Sydney. Dernièrement, il y a eu des problèmes en interne et autour de l’équipe, mais j’espère qu’on va pouvoir prendre un nouveau départ et valoriser l’image de notre pays. C’est notre mission que de représenter le Cameroun dans le monde entier. Même si la sélection n’est pas au niveau en ce moment, je m’intéresse beaucoup à l’histoire de notre équipe. Très souvent, je regarde le match Argentine-Cameroun de la Coupe du monde 1990, quand on a gagné 1-0. J’adore le mater quand je n’ai rien à faire, j’ai dû le voir des dizaines de fois. Je ne sais pas pourquoi, ce match m’a toujours plu, cela me fait plaisir de regarder les anciens que je n’ai pas connus et de voir de quoi ils étaient capables.

Tu retournes souvent au pays ?

Oui, assez souvent. Tout me rattache à mon pays, la famille, les amis, la poussière, l’odeur des rues… Ce sont des sensations difficiles à expliquer. J’aime respirer l’endroit où je suis né. J’ai très hâte d’être demain dans l’avion. J’espère arriver sain et sauf, si Dieu le veut.

Pourquoi ? Tu as peur dans les airs ?

Non pas vraiment, en tant que footballeur, je prends l’avion assez souvent. Mon vrai problème, c’est que je ne sais pas nager. Mes coéquipiers se moquent à ce sujet. Quand on embarque, ils font des blagues sur ce que je ferai en cas de crash dans l’océan… Ils me disent aussi que je prends l’avion car j’ai peur de l’eau. C’est ça le problème, tu fais confiance, tu te confies et ça te retombe dessus (rires). Pour eux, c’est devenu un délire, ils ne s’arrêtent plus…

Ton agent Diego Tavano a un jour expliqué que tu avais eu « une enfance difficile » , tu peux nous en dire plus ?

Si tu connais un peu la réalité africaine, tu sais la manière dans laquelle on vit. On s’adapte aux difficultés de son milieu. Tout le monde grandit à sa façon, certaines personnes suivent une voie, certaines prennent un autre chemin. Aujourd’hui, je remercie le seigneur, et je remercie l’Italie de m’avoir accueilli et de m’avoir donné la chance d’exploiter mon talent. Je suis content, car je peux maintenant aider ma famille et beaucoup de gens.

Toi qui as réussi ton intégration, que penses-tu des récents drames de migrants en Méditerranée ?

Les migrants, c’est quelque chose qui fait peine à voir. C’est un phénomène qui te touche, quelle que soit ta couleur de peau. Quand on parle des immigrés, on pense surtout aux Africains, mais ça concerne tout le monde. C’est dommage de voir ce qui se passe, leur situation est très précaire. Je ne défends pas le fait de venir clandestinement et, en même temps, je les comprends. J’ai grandi dans les mêmes conditions. J’espère qu’on trouvera une solution. Moi, je l’ai toujours dit, je suis pour les immigrés qui viennent en Occident pour apporter un plus… Malheureusement, parfois, je revois des anciens camarades de maison d’accueil, on se retrouve pour boire un verre et discuter. Malgré leur vécu, malgré la souffrance qu’on laisse en Afrique, ils viennent en Europe et ne font rien, ils se laissent aller. Cela, je n’arrive pas à le comprendre.

Comment tu es arrivé en Italie ?

Je suis arrivé grâce à un intermédiaire, qui venait souvent en Europe et qui a monté un projet pour moi. Ma famille a dû mettre les moyens. À l’époque, il n’y avait que ma mère qui travaillait, elle tenait une petit commerce, on se débrouillait. Mais elle a dû faire un énorme emprunt pour le payer et me permettre de partir. C’était une grosse responsabilité. Disons que j’aime pas trop me rappeler de ça, cela me fait penser à beaucoup de choses (très ému)… Je remercie le seigneur, car je suis sur la bonne voie maintenant. Il y a beaucoup de personnes qui connaissent pire. J’aurai pu perdre la vie, devenir n’importe quoi, mais Dieu m’a porté…

Au début, tu as vécu des moments compliqués…

Quand je suis arrivé, les choses ne se sont pas passées comme prévu, j’ai été arnaqué. Je suis venu avec la promesse d’un bout d’essai au Milan, mais je n’ai plus eu de nouvelles de la personne qui devait m’attendre à la gare. À la station, il n’y avait pas de Milan, il n’y avait personne. J’étais tout seul au milieu d’un monde que je ne connaissais pas, je n’avais pas un euro en poche, même pas un centime. Je ne savais pas quoi faire, ni ou aller. Je me rappelle que tout était flou, je me disais que ma famille était finie. Que j’avais déçu tous les espoirs placés en moi. Tout était fini.

Cela arrive souvent en Afrique avec des agents mal intentionnés, qui disparaissent une fois arrivés en Europe, sans laisser de traces. Comment tu t’en es sorti ?

Je me souviens avoir demandé de l’aide à une dame qui passait. Derrière, je suis allé au poste de police pour les supplier de m’aider à rentrer dans mon pays. Je leur ai expliqué ce qui m’était arrivé… Ils se sont bien occupés de moi. Ils m’ont accompagné à l’hôpital, puis m’ont permis d’entrer dans une maison d’accueil. C’était un épisode difficile.

Tu es resté longtemps dans ces structures d’accueil ?

J’y ai passé un an au total, mais je changeais très souvent d’endroits. Six mois ici, puis trois mois-là, et ainsi de suite… Grâce au soutien des différents directeurs, à qui j’ai expliqué mon projet, j’ai pu jouer au football. C’était un petit championnat amateur, où on ne pouvait pas être relégué ou promu. Pour te donner une idée, ça serait un peu du niveau de la CFA2 chez vous. Par chance, il y avait pas mal de recruteurs présents, car on jouait très souvent contre les centres de formation des équipes professionnelles. Un jour, un recruteur s’est approché et m’a dit qu’il pouvait m’organiser un test au Napoli. Derrière, j’ai aussi obtenu des tests à l’Inter et à l’Udinese…

Où tu n’es pas retenu, malgré des essais concluants… Ils avaient des doutes sur ton âge ?

Non, la polémique n’avait pas encore éclaté.

Finalement, tu signes ton contrat à la Lazio, où tu impressionnes…

C’était davantage un choix personnel. Je ne souhaite pas trop en parler, j’essaie de ne plus avoir de rancœur, mais quand j’ai refusé de signer au Napoli, des gens de mon entourage ont essayé de me mettre des bâtons dans les roues. Les mecs en question, ils étaient là pour m’aider, c’était comme mes frères, et pourtant ils cherchaient toujours à profiter de moi. Ils m’arnaquaient, signaient des accords dans mon dos, manquaient de respect à ma famille. Cela m’a fait du mal, mais j’ai réagi : si tu ne me donne pas à manger, moi je ne te donne pas à manger. J’ai donc refusé le Napoli, mais ce n’est pas le club qui était en cause. Seulement, j’ai refusé de faire bénéficier les gens qui me géraient avant, qui étaient dans mon entourage à mes débuts ; ils ont très mal pris le fait que je passe dans une autre écurie pour gérer mes intérêts et ils ont voulu me le faire payer.

Tu as un jour déclaré : « Dans le monde du football, les gens te regardent toujours avec des yeux verts » . Cela faisait référence à cet épisode ?

Aujourd’hui, le joueur de football, c’est une marchandise. Beaucoup de gens regardent l’être humain avec l’idée du profit, ils ne pensent pas à ton bien, plutôt à ce qu’il peuvent gagner en t’exploitant. Quand j’ai pris ma décision, ils m’ont menacé, ils m’ont dit que je n’allais rien faire dans ma carrière et dans ma vie, que j’allais finir comme tous les autres qui n’avaient pas assez de talent.

Derrière, alors que tu empiles les buts avec la Primavera de la Lazio, les rumeurs sur ton âge éclatent rapidement. Comme par hasard…

Très exactement à partir du moment où j’ai été convoqué avec le groupe pro de la Lazio pour le derby contre la Roma, c’est là que les premières accusations sont apparues. Beaucoup de personnes n’ont pas cru en moi et ont été surprises de me voir arriver à un tel niveau. Ce ne sont pas le public ou les médias qui ont lancé les accusations, je n’avais jamais eu de problèmes avec mon apparence physique auparavant.

Comment as-tu réagi face à cette polémique qui a fait le tour du monde ?

Je n’ai jamais prêté attention aux rumeurs sur mon âge, j’ai juste été surpris de leur ampleur. Mais ça ne m’a pas touché. Les journalistes ont balancé n’importe quoi. Heureusement, mon manager et mon entourage ont été très clairs et ont pris les choses en main. Ils m’ont toujours bien protégé, tout comme mon club qui a fait ce qu’il fallait. Comme je le dis souvent, il n’y a que le ciel qui pourra m’arrêter et décider de mon sort…

Venant de Yaoundé, tu n’es pourtant pas sans savoir que le trafic d’âge est une pratique courante en Afrique. Les joueurs n’hésitent jamais à s’enlever quelques années sur le passeport pour se rendre plus attractifs… Même si on t’a disculpé, les rumeurs autour de ton cas semblaient légitimes. À défaut de les approuver, tu peux les comprendre ?

La modification d’identité, le trafic d’âge, ce sont des faits très courants dans le monde du football. Et pas seulement en Afrique, aussi en Asie et en Amérique du Sud, comme l’a prouvé la récente histoire sur Radamel Falcao. Il faut bien comprendre que le footballeur exerce un métier tape-à-l’œil, qui génère à la fois envie et jalousie. Personnellement, je ne veux pas défendre ceux qui abaissent leur âge, mais le monde est comme il est. Parfois, il arrive qu’on fasse quelque chose de mal pour pouvoir faire quelque chose de bien.

Admets quand même que tu n’as pas le physique d’un jeune de 18 ans…

Je suis le premier à faire des blagues sur ce sujet avec mes amis… Après, il y a eu tout un tas de procédures, des enquêtes, j’ai notamment dû faire un test osseux qui a prouvé la vérité. Maintenant, le public est libre de décider. Oui, j’ai un physique qui fait plus vieux. Il faut s’y faire, il y a des personnes qui font plus vieilles, d’autres plus jeunes.

Est-ce que ça aide avec les filles ?

Ça dépend lesquelles. Je n’ai pas à me plaindre, mais je préfère ne pas trop en parler (gêné).

De manière générale, tu as l’air de penser que la polémique a pris de l’ampleur à cause de ta couleur de peau. Tu trouves que le football italien est raciste ?

Je suis persuadé que si j’étais blanc, il n’y aurait pas eu cette polémique. En Italie, comme partout, il y a des gens qui sont bien, et d’autres qui sont mauvais, emplis de pensées négatives. C’est comme dans les stades, il y a plein de supporters différents, tu ne peux pas mettre tout le monde dans le même panier.

Pour finir, ton anniversaire approche : les 19 ans, c’est un gros cap. Tu vas faire une soirée en boîte comme tous les jeunes ?

Mon anniversaire tombe toujours mal. Au mois d’août, on est toujours en période de préparation, un moment qui demande des sacrifices. Donc pour dire la vérité, cela ne va pas être une fête énorme. On va organiser un petit truc sympa comme d’habitude, mais je ne peux pas me permettre une grosse soirée en discothèque. On souffle seulement sur les bougies et on lève un verre à la santé…

Que peut-on te souhaiter pour l’avenir ?

Pourquoi pas de venir en France ! Quand j’étais encore cadet, j’ai eu une approche du FC Nantes, mais ça n’a pas pu marcher. C’est dommage ! En attendant, je vous remercie de vous être intéressé à moi et je salue le peuple français, mon pays et ma famille.
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