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Il était une fois le 9 août 1942, à Kiev

Par Maxime Brigand
Il était une fois le 9 août 1942, à Kiev

L'histoire en a fait le Match de la mort. Celui d'une rencontre entre le FC Start et la Flakelf, le 9 août 1942. Celui, surtout, de la victoire d'une troupe d'occupés sur ses occupants durant la Seconde guerre mondiale.

Le vide. Il n’existe aucune image, aucune vidéo, aucune bande, que des souvenirs. C’est l’histoire d’un match qui, au-delà des poncifs, a dépassé le stade de l’histoire. Quatre-vingt-dix minutes qui ont écrit au fil des années le récit du Match de la mort. C’était il y a maintenant soixante-quatorze ans. Le genre d’instants qui ont écrit l’histoire du foot mais qui appartiennent aussi à ce que le mythe en a fait. On ne compte plus les articles qui ont été écrits sur ce 9 août 1942, on ne compte plus non plus tous les fantasmes qui en ont découlé. Sur tous les détails, sur cette photo d’après-match où on voit des sourires, sur ce qu’il s’est réellement passé mais aussi sur le contexte de l’époque : celui de la Seconde guerre mondiale, d’un Kiev martyr et surtout du lendemain du massacre de Babi Yar, fin septembre 1941, considéré comme le plus grand massacre par balles de la Shoah mené par les troupes nazies en Union soviétique (plus de 33 000 morts). Voilà les bases d’une journée où l’histoire va s’écrire sur un terrain de football. Celui d’un match qu’il ne fallait pas gagner, d’une victoire qu’il ne fallait pas construire. Mais aussi celui du stade Zénith de Kiev, devenu depuis le Start Stadium.

Le « laboratoire » et la boulangerie

Ces images, elles, sont restées dans l’histoire. Juin 1941, Hitler qui déclenche l’opération Barbarossa, la Wehrmacht qui coule à l’Est sur l’URSS malgré le traité de non-agression signé deux ans plus tôt et Kiev qui tombe, finalement, le 19 septembre suivant… Le championnat soviétique a alors vu le jour cinq ans plus tôt et doit se mettre en attente. Déjà, il y a ce monstre sportif : le Dynamo Kiev, son histoire, ce club fondé par la police et le NKVD qui commence à se faire un nom alors que ses joueurs sont appelés à prendre les armes pour défendre l’Ukraine. Ce pays « laboratoire de souffrance de Staline » comme l’explique l’écrivain Pierre-Louis Basse, auteur de Gagner à en mourir (2012), consacré au Match de la mort. Il poursuit : « Le sentiment était alors assez bizarre à ce moment-là car l’arrivée des troupes allemandes a été perçue comme une respiration pour les habitants de Kiev. C’est d’ailleurs une erreur majeure de Hitler car cette région, au départ, était assez acquise aux SS. » Au final, l’opération Barbarossa conduira à la capture de centaines de milliers de prisonniers soviétiques avant la remise en liberté de ceux considérés comme « inoffensifs » dont d’anciens joueurs du Dynamo comme le gardien Nikolai Trusevich.

Le Dynamo Kiev n’existe plus. Alors Trusevich et ses potes errent dans les rues de Kiev, cherchent à manger et à tuer le temps jusqu’à ce que l’ancien gardien tombe sur Jozef Kordik, un Tchèque considéré par les Nazis comme un étranger d’origine allemande. Au point d’être nommé directeur d’une boulangerie de la ville où Kordik va faire bosser Nikolai Trusevich. L’histoire s’écrit ainsi : les mois passent, l’idée d’un club de foot se forme et Trusevich file dans la rue retrouver ses anciens coéquipiers de l’époque pour mettre en place le FC Start. Le groupe se compose alors de huit anciens joueurs du Dynamo et trois du Lokomotiv Kiev puis décide de se saper avec ce qu’il trouve, soit un équipement aux couleurs de l’équipe nationale soviétique : un short blanc, un maillot rouge, des chaussettes rouges. La légende raconte que les bouts de tissus ont été retrouvés dans une usine de Kiev par Trusevich. Le reste ? Une victoire initiale contre le Rukh Kiev début juin 1942 (7-2), monté par Georgi Shvetsov, un ancien joueur devenu proche des Allemands qui a fondé un mini-championnat pour introduire une « normalité » dans la ville, puis un succès 8-2 contre une autre équipe ukrainienne. Suivent d’autres victoires face à une garnison hongroise et à une unité d’artillerie allemande notamment. Le FC Start est intouchable. Trusevich : « Les Fascistes devraient savoir que cette couleur ne peut être vaincue. »

L’insouciance et le dribble

Et le FC Start ne perdra jamais une rencontre. Même le 6 août contre la Flakelf, l’équipe montée par la Luftwaffe, l’armée de l’air allemande. Malgré les menaces, la bande à Trusevich s’amuse et s’impose facilement (5-1). Alors, les autorités n’apprécient pas, parlent du moral des aviateurs du IIIe Reich mais peu importe. On parle ici d’une référence, d’un symbole du retour du nationalisme ukrainien et d’une occasion de se foutre de la gueule de l’occupant. Dans Gagner à en mourir, Basse le retranscrit ainsi : « Une ville qui reprend goût à une forme de légèreté et d’indépendance, de victoire aussi fût-elle avec un ballon peut très vite devenir dangereuse pour l’occupant. » La Flakelf demande alors une revanche qui aura lieu trois jours plus tard. Voilà ce qu’on appelle aujourd’hui le Match de la mort. Le stade du Zénith est alors sous grosse surveillance alors que Kiev est rempli d’affiches pour annoncer la rencontre du jour. La police est présente, les troupes allemandes aussi, elles qui ont rempli de force le stade pour que l’humiliation se fasse sous les yeux de la nation.

L’arbitre de la rencontre est alors un officier SS. L’homme se présente avant la rencontre dans le vestiaire du FC Start et demande dans un russe parfait à l’adversaire de saluer avant le coup d’envoi à « notre manière » , c’est-à-dire en réalisant le salut nazi. Le silence est total, les positions des joueurs diffèrent quant au comportement à adopter. Quelques minutes plus tard, le XI de la Flakelf entre, fait le salut nazi alors que le FC Start refuse de s’exécuter. Pourquoi ? Car la victoire est la seule issue. Selon plusieurs témoignages, les joueurs ukrainiens auraient alors crié un « Da zdravstvuyet sport » – slogan soviétique à la gloire du sport – repris par le stade. La suite ? Des sales coups, de la pression, un Trusevich frappé à la tête, la Flakelf qui ouvre le score sur l’action, un arbitre qui ne siffle pas et le FC Start qui se remet à l’endroit pour lancer sa démonstration qui se terminera sur un score net (5-3). « Une histoire de dribbleurs fous et insouciants, qui avaient préféré la mort à un match arrangé » , selon Basse. Et ce jusqu’à repousser une dernière pression autoritaire à la pause. Comme pour dessiner les dernières foulées. Elles auront finalement lieu le 16 août sur une dernière victoire 8-0 contre le Rukh Kiev.

Car quelques jours plus tard, les joueurs sont arrêtés par la Gestapo. La raison ? Ils seraient membres du NKVD. L’un des joueurs, Nykolai Korotkykh, est torturé jusqu’à la mort à cause de son statut de membre du Parti communiste. Trusevich, lui, est arrêté le 18 août dans la boulangerie avec deux coéquipiers (Klimenko et Putistin). Les trois hommes seront interrogés 23 jours puis envoyés au camp de travail de Syrets. Un lieu situé à Bobi Yar, près de Kiev, où huit joueurs seront déportés, et trois exécutés en février 1943 – dont Trusevich qui se serait levé sur un « le sport rouge ne mourra jamais » avant de mourir. C’était donc ça mourir pour ses idées, sa victoire et le football. Le terme Match de la mort sera évoqué une première fois en 1958 par la propagande soviétique alors que la rencontre avait au départ été vue comme une collaboration avec l’occupant nazi. Depuis, la romantisation a fait son travail : non, les joueurs n’ont pas été exécutés dès la fin de la rencontre. Reste cette statue, posée à l’entrée du stade Zénith en 1971. Et cette absence d’images. Pourtant, selon les mots de Basse, les Allemands « filmaient tout. Y compris leurs crimes de masse. Les derniers moments, en sous-vêtements, des familles condamnées. Les pendus, dans les villages, qui faisaient dans l’hiver comme de gros épouvantails, pris dans la glace. Les partisans fusillés. On peut s’étonner qu’ils n’aient pas filmé le match du 9 août 1942. »

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Par Maxime Brigand

Propos de Pierre-Louis Basse recueillis par MB.

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