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Estudiantes et l’héritage d’Eva Perón

Par Ruben Curiel, à Buenos Aires
Estudiantes et l’héritage d’Eva Perón

En 1952, Estudiantes de la Plata change de nom et d'écusson. Suite à la mort d'Eva Perón, première dame d'Argentine et icône du peuple, le club devient Estudiantes de Eva Perón. Récit d'une intervention politique, entre populisme, dettes et coup d'état.

Nous sommes le 18 juin 1952. Juan Perón préside l’Argentine depuis bientôt six ans. Sa femme, Eva – plus connue sous le surnom d’Evita – est l’icône du peuple, pour ses travaux sociaux qui bénéficient aux pauvres, aux malades, et pour son féminisme exacerbé. Utilisé à des fins politiques, le football argentin va connaître une période trouble sous le joug des Perón. Et le club d’Estudiantes de La Plata en sera l’une des principales victimes. En cette après-midi d’hiver, une manifestation débute sur l’Avenue 7 de La Plata. Les traditionnels drapeaux et tambours sont de sortie. La multitude s’arrête sur l’Avenida 53, devant le siège social du club d’Estudiantes. Menée par Luis Suárez, syndicaliste à la tête de la Confédération générale du travail, cette manifestation va changer l’histoire du club. Les reproches de la cohorte sont simples : la direction du club a caché deux mille exemplaires de la biographie d’Eva Perón (titré La Razón de mi vida – « La raison de ma vie » en français – livre imposé au programme scolaire après la mort d’Evita, ndlr) dans un grenier. Un affront important à l’époque, puisque ce livre était distribué par le gouvernement dans les écoles et dans les centres sportifs, afin que ces institutions les répartissent à la population. La découverte a été faite par un employé du club qui a « mis à disposition les clés du local à la CGT » . « Cette manœuvre honteuse des autorités d’Estudiantes » marque l’anti-péronisme des dirigeants du club fondé en août 1905. Luis Suárez et la CGT vont alors entamer l’entreprise de « péronisation » du club de La Plata. Le siège du club est perquisitionné, sans l’ordre d’un juge. Le gouvernement intervient donc, et le président du club, Cesar Ferri – « anti-péroniste » affirmé – est démis de ses fonctions. Il sera remplacé par Mario Otorino Sbuscio, sbire du gouvernement, pistonné par Carlos Aloé, gouverneur de Buenos Aires de l’époque. Le début du calvaire pour Estudiantes de La Plata.

Estudiantes, jouet de l’État

À l’époque, Estudiantes – en grande difficulté économique – connaît une situation sportive plutôt stable. Certains joueurs formés au club brillent sous les couleurs d’El León, comme Ricardo Infante, Gabriel Ogando ou Manuel Pelegrina. Le 9 juillet, l’équipe dispute un match amical à Tandil, gagné sur le score de quatre à zéro. Le moment choisi par la direction du club pour redorer le blason d’Estudiantes et du gouvernement : à la fin de la rencontre, les joueurs distribuent de nombreux exemplaires de la biographie d’Eva Perón à plusieurs institutions locales. Mais la phase de « péronisation » du club atteindra son paroxysme avec la mort d’Eva Perón, le 26 juillet 1952. Trente jours de deuil national son décrétés, et le député Hectór Campora présente un projet en l’honneur de la défunte : ce dernier propose de changer le nom de la ville de La Plata et de lui donner le nom de la femme du président, qui vient de passer à la postérité. Finalement, le 8 août, la loi est promulguée : la ville de La Plata devient la ville Eva Perón. Quelques mois plus tard, la direction décide aussi de changer le nom du club : le Club Estudiantes de La Plata devient le Club Estudiantes de Eva Perón. « Le club était un espace à conquérir. Une institution telle qu’Estudiantes représentait des valeurs associées aux secteurs les plus riches de la ville. Le péronisme venait donc défier ce modèle » affirme Juan Branz, docteur en communication et sciences sociales et l’un des auteurs du livre Deporte y Ciencias Sociales. Claves para pensar las sociedades contemporáneas, soit « Sports et sciences sociales. Des pistes pour penser les sociétés contemporaines » . Tout un programme.

L’ingérence du gouvernement dans ce club permet à Perón d’asseoir ses convictions liées au sport, car, selon Juan Branz, « Perón soutenait une vision du sport en lien avec la « vie saine ». Le péronisme a produit énormément de symboles, d’images et de représentations liées à une patrie sportive » . Et d’ajouter : « L’État accordait déjà beaucoup d’importance au football. La seconde transmission de l’histoire de la télévision argentine, c’était un match de football. Un football déjà transformé en un spectacle des masses. » Une thèse confirmée par Esteban Bekerman, historien du football : « Dès son intronisation au pouvoir, Perón s’est entretenu avec les dirigeants des grands clubs, qui voulaient augmenter le prix des entrées du stade. Il les a empêchés d’augmenter ces tarifs en leur offrant des subventions et des prêts douteux qui leur permettraient de récupérer ce manque à gagner. » Une mesure populiste qui ne cachera pas la situation économique désastreuse du club. En octobre, les joueurs sollicitent le syndicat « Futbolistas Agremiados » , arguant que le club leur doit 744 000 pesos (environ 73 000 euros) de primes et salaires. L’attaquant Antonio Carmen Giosa, joueur d’Estudiantes à l’époque, affirmait dans le magazine La Pulseada que « le club devait énormément d’argent avant l’intervention » . « Ils nous donnaient un peu de sous ici et là, mais ça ne suffisait pas. Jusqu’à que l’on se déclare en grève » , explique l’ancien attaquant.

L’ascenseur d’Estudiantes

Les joueurs d’Estudiantes refusent donc de s’entraîner et de jouer. Pour les six dernières journées du championnat, Estudiantes présente une équipe de jeunes amateurs. La Fédération argentine tente de résoudre le conflit, mais Estudiantes en paiera les conséquences. Les dettes ont été réglées, mais la relation entre la direction et les joueurs est totalement dégradée. Ainsi, de nombreuses figures de l’équipe seront vendues. C’est le cas de Pelegrina, Ogando (gardien qui avait disputé 347 rencontres sous le maillot d’El Pincha), Infante et Giosa, tous transférés à Huracán pour des sommes dérisoires. Le président d’Huracán, Tomás Adolfo Ducó était un « péroniste » reconnu, qui a bénéficié de l’aide du gouvernement pour la construction du stade qui porte aujourd’hui son nom. L’exil de ses principaux joueurs entraînera la descente du club en seconde division la saison suivante, en 1953. Et la remontée immédiate du club la saison suivante n’est pas due au hasard, selon Esteban Bekerman, l’historien qui vient d’inaugurer « Entre Tiempos » , un espace culturel consacré à l’histoire du football : « À l’époque, chaque club avait un parrain politique. Ces derniers, en lien avec Perón, s’occupaient de faire parvenir les demandes des dirigeants au gouvernement. Aloé (gouverneur de Buenos Aires, ndlr) était celui d’Estudiantes. Il a pris le club sous son aile, et a tout fait pour le faire remonter » . Certains matchs auraient été arrangés. « Ils ont rapidement solutionné le problème qu’ils avaient eux-mêmes provoqué » , conclut Bekerman. Finalement, Estudiantes retrouvera son nom original le 25 octobre 1955, après la chute du gouvernement Perón provoquée par un coup d’État. Aujourd’hui présidé par l’ancien milieu de terrain argentin et idole du club Juan Sebastián Verón, Estudiantes de La Plata – géant au quatre Copa Libertadores remportées – erre à la treizième place du championnat argentin. A priori, le club ne deviendra pas Estudiantes de Juan Sebastián Verón.

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Par Ruben Curiel, à Buenos Aires

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