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Derby frison, derby frisson

Par Matthieu Rostac, à Amsterdam
Derby frison, derby frisson

Ce dimanche, le SC Cambuur accueille un autre SC, Heerenveen. Un affrontement plus connu aux Pays-Bas sous le nom de « derby de Frise », en rapport à cette province bien à part dans l'unité néerlandaise. De fait, l'opposition entre les Geelblauwen et les Fean va un peu plus loin que la simple partie de football.

Leeuwarden, 18 octobre 2014. L’équipe première du SC Cambuur rentre sur le terrain pour son dernier entraînement avant d’affronter Heerenveen le lendemain au Abe Lenstra Stadion. Si l’opposition entre le possible onze titulaire et le reste du groupe est plutôt tranquille au Cambuurstadion, l’ambiance est bien différente en tribunes. Dans un stade capable d’accueillir 10 000 personnes, pas moins de 4000 supporters se sont amassés pour venir donner un supplément d’âme à leur équipe de cœur. Les banderoles sont déployées, les chants entonnés, une foultitude de fumigènes craqués. Si le public du SC Cambuur est connu pour être l’un des plus fervents des Pays-Bas, c’est surtout que le moment revêt une importance particulière. Heerenveen n’est pas une équipe quelconque pour Cambuur : elle est l’ennemie séculaire, la cristallisation de tout ce à quoi Cambuur s’oppose. De surcroît, Heerenveen est la seule « autre » ville de Frise à accueillir en son sein une équipe de football professionnelle. De fait, la confrontation entre les deux équipes se nomme fatalement le derby de Frise. Bartholomew Ogbeche, présent lors de ce fameux entraînement, nous avait confié en août dernier que cet affrontement entre Cambuur et Heerenveen, « ça va un peu plus loin que le football. Il y a quelque chose qui va plus loin que les supporters qui ne s’aiment pas entre eux. Ils cherchent la supériorité de la ville. Des semaines, voire des mois avant ce derby, tu entends toute la ville en parler. Partout où tu vas, tu en entends parler. » Même son de cloche venant de Kévin Diaz, ancien attaquant des Geelblauwen entre 2009 et 2011, alors même que ce dernier n’a jamais joué de derby de Frise : « Que les clubs soient en Eredivisie ou en Eerste Divisie, la rivalité existera toujours. Tout le monde nous en parlait quand même. La Frise, c’est comme Lens ou Saint-Étienne : il n’y a pas grand-chose à y faire mais il y a une grande ferveur. »

Frison d’abord, néerlandais ensuite

Pour comprendre le derby de Frise, il faut d’abord comprendre la Frise. L’une des douze provinces néerlandaises – l’équivalent des régions en France – mais qui n’a de néerlandais que le statut officiel. Parce qu’en Frise, on est d’abord frison et ensuite, on est néerlandais. « C’est une province à elle toute seule, avec sa propre culture, sa propre langue » , explique Johann Mast, qui se décrit comme un « suiveur de Heerenveen depuis Leeuwarden » . Comprendre journaliste sportif au Leeuwarder Courant. Aussi, la province possède son propre parti politique, le Fryske Nasjonale Partij, qui défend les intérêts et l’autonomie frisonne au sein des Pays-Bas, ainsi que des médias en langue frisonne. En quelque sorte, la Frise, c’est la Bretagne sans les hermines au cul des bagnoles et la prétention de faire mieux la fête que les autres. Forcément, il est bien plus important d’obtenir la suprématie locale pour les deux équipes avant d’avoir une quelconque incidence à l’échelle nationale. Martin Stallinga, 48 ans, en sait quelque chose. Chef cuisinier pour Meal on Wheels depuis 1987, ce dernier supporte Heerenveen « depuis que son père et son grand-père l’ont emmené au stade étant tout gamin. Depuis, le virus pour ce club ne m’a jamais quitté. » Il poursuit : « Pour les supporters de Heerenveen, ce sont deux matchs qui doivent être gagnés face à Cambuur coûte que coûte. Quand Marco van Basten entraînait le club, il a dit qu’il ne s’agissait que de deux matchs parmi les trente-quatre autres à disputer dans l’année. Il n’a pas marqué beaucoup de points sur ce coup-là. À Leeuwarden, c’est encore plus extrême. Ils veulent juste gagner contre Heerenveen. Même s’ils perdent touts les autres matchs, même s’ils sont relégués à la fin de la saison. »

« Les pigeons de Leeuwarden ne sont pas autorisés à voler au-dessus de Heerenveen »

Et pour renforcer le folklore, le derby de Frise est entouré de nombreuses histoires et anecdotes plus ou moins sérieuses. Comme celle de ne jamais citer le nom du rival en public. « À Cambuur, on ne parle pas de Heerenveen. Dire leur nom, c’est déjà trop pour eux. Les vrais supporters de Cambuur mentionneront toujours les supporters de Heerenveen comme les DKV, les Dertig Kilometer Verderop, les « trente kilomètres plus loin ». Au début, je me demandais de quoi ils parlaient… Je me disais que c’était peut-être un club du coin, quelque chose comme ça. Mais non, c’est parce qu’il y a trente kilomètres entre les deux villes » , se souvient Kévin Diaz. « Lors des déplacements, les supporters de Cambuur sont capables de faire des détours de dix, quinze kilomètres pour ne pas avoir à passer devant Heerenveen et le stade Abe Lenstra qui se trouve juste à côté de la voie rapide. » Des légendes auxquelles Martin le fan des Fean souhaite ajouter quelques précisions : « En réalité, le terme DKV a commencé à Heerenveen. À Leeuwarden, ils nous appelaient Akkrum Zuid (le « sud d’Akkrum » , Akkrum étant un petit village situé au nord de Heerenveen, ndlr). Il se dit aussi que les pigeons de Leeuwarden ne sont pas autorisés à voler au-dessus de Heerenveen. Et si un Leeuwarder doit se rendre à Zwolle, il tournera la tête de l’autre côté quand il passera devant le stade de Heerenveen. »

Et Riemer van de Velde arriva

Pour autant, la rivalité entre les deux clubs n’a pas toujours été aussi farouche. Avant la création de l’Eredivisie et de la professionnalisation du football aux Pays-Bas, Heerenveen est l’une des meilleures équipes du pays. Sous l’impulsion d’Abe Lenstra, la première « star » du football hollandais, Heerenveen remporte neuf fois le championnat de la région Nord des Pays-Bas entre 1941 et 1951. Le VV Leeuwarden, lui, défend comme il peut l’honneur de la ville face à

l’ogre Fean. En trente-neuf confrontations, Heerenveen l’emporte vingt-huit fois. Puis, en 1964, le SC Cambuur, première équipe professionnelle de Leeuwarden voit le jour tandis que le VV part s’installer dans les tréfonds des divisions amateures. Exactement le moment où le SC Heerenveen rentre dans les rangs pour prendre place dans le ventre mou de l’Eerste Divisie, juste à côté de son nouveau rival geelblauw. Il y a donc derby de Frise mais la vérité, c’est que pas grand monde n’en a quelque chose à faire.

« Abe Lenstra, une belle tête de vainqueur »

Et ce, jusqu’à qu’un certain Riemer van de Velde arrive à la présidence du SC Heerenveen en 1983. L’homme âgé aujourd’hui de 76 ans avait compris une chose : outre son caractère foncièrement indépendant, la Frise est la plus grande province des Pays-Bas en matière de superficie (terre et mer comprises), la moins peuplée et surtout, l’une des plus rurales du pays. « Dans les années 80, Riemer van de Velde est devenu le nouveau président de Heerenveen et s’est chargé de faire du club LE club de Frise » , rembobine Johann Mast. « À partir de ce moment-là, c’était décidé : Heerenveen représenterait la Frise et tous les habitants des villages de la région supporteraient Heerenveen. » 174 000 habitants pour Leeuwarden, dont 66 pour sa banlieue contre 50000 habitants pour Heerenveen, dont… 422000 pour sa « banlieue » .

« Une rivalité entre les frisons et les frisons qui ne veulent pas être frisons »

Si le club de Heerenveen joue déjà avec un maillot aux couleurs de la Frise – les fameux petits cœurs qui sont en réalité des nénuphars sur fond blanc et bleu – depuis les années 20, Riemer van de Velde surfe sur la vague du lustre d’antan, celui où ce « frison total » d’Abe Lenstra faisait marcher les Pays-Bas à son rythme. Celui des Superfriezen, l’autre surnom du SC Heerenveen. Van de Velde érigera d’ailleurs une statue à l’attaquant aux 523 buts en 500 matchs avec les Fean, posée en face d’un stade flambant neuf à son nom sorti de terre en 1994. Au passage, le club se réapproprie l’hymne frison, joué à chaque match à domicile. « Lors des derbys dans les années 60, à l’époque où le club de Cambuur venait tout juste d’être créé, on jouait encore l’hymne national frison à Leeuwarden. Désormais, c’est impensable. L’hymne est uniquement joué à Heerenveen, que ce soit contre Ajax, Feyenoord ou PSV. Ou Cambuur, évidemment. Personne n’aime ça. Et surtout pas Cambuur. » , précise Mast. « Plus Heerenveen rentrait dans ce truc très « frison », plus les fans de Cambuur ont cherché à se détacher de ça, à s’y opposer. » Kévin Diaz ne dit pas autre chose : « Les ultra de Cambuur, ils vous diront qu’ils ne sont pas de Frise. Eux, ils sont de Leeuwarden avant tout. C’est pas très glorieux mais ils ont un chant où ils disent qu’ils sont anti-Frise, anti-boer donc anti-campagne, anti-paysans. Qu’ils sont de la ville. » Peu étonnant de la part d’un club qui affiche comme emblème les armoiries de la Maison Cammingha, famille noble du XVIe siècle. Un antagonisme que Johann Mast présente de manière très simple : « Une rivalité entre les frisons et les frisons qui ne veulent pas être frisons. Cambuur préférerait être comme Amsterdam plutôt que comme Heerenveen. À Leeuwarden, on ne parle pas frison : on parle néerlandais avec des éléments de dialecte de Leeuwarden. » Paroxysme de ce refus catégorique de la Frise ? Lors de son passage au SC Cambuur entre 2008 et 2012, l’attaquant Mark de Vries (prononcé « de Fries » , Frise en néerlandais) avait été rebaptisé « Mark de Leeuwarder » . Soit Mark le Leeuwardois.

Heerenveen, master troll de Cambuur

Évidemment, le sportif pèse également dans la balance de cette rivalité. Sous l’impulsion de Riemer van de Velde et du coach Foppe de Haan, le SC Heerenveen reprend des couleurs en Eerste Divisie et rembourse ses dettes abyssales. Paradoxalement, c’est lors d’une des plus mauvaises saisons des Superfriezen que ces derniers vont troller sévèrement le SC Cambuur. En 1990, les Geelblauwen terminent onzième d’Eerste Divisie tandis que le SC Heerenveen pointe à la seizième

place. Mais un nouveau système de playoffs où le premier non-relégable peut sauver sa saison sur un acte de mansuétude de la KNVB est mis en place cette année. Contre toute attente, le club de Riemer van de Velde tape tout le monde et obtient sa montée en Eredivisie. La première pour un club frison depuis l’introduction du professionnalisme dans le foot néerlandais. À jamais les premiers. « La véritable haine entre nos deux clubs a commencé à ce moment-là. On faisait partie de l’élite et après l’ultime match de la saison, plusieurs joueurs de Heerenveen ont brandi une banderole « Nooit Weer Cambuur » (Plus jamais Cambuur, ndlr) » , explique Martin Stallinga.

Rebelote trois ans plus tard, cette fois-ci avec un peu plus de mérite. Quoique. Lors de la saison 1992-93, le SC Cambuur est supérieur au SC Heerenveen sur le papier. Les Superfriezen, montés trop vite à l’échelon supérieur, sont redescendus illico en Eerste Divisie. Les Geelblauwen, eux, sont en Eredivisie. Sans playoffs. Simplement en mettant six points dans la vue du dauphin Den Bosch la saison précédente. Si le SC Cambuur parvient à se maintenir pour sa première saison dans l’élite, la Hollande du foot ne jure que par… Heerenveen. Les hommes de Foppe de Haan, revenu sur le banc, accrochent une place en finale de Coupe des Pays-Bas face à l’Ajax. Peu importe le set de tennis collé par les boys de Louis van Gaal (6-2), « c’est là que les Pays-Bas se sont rendu compte du potentiel de Heerenveen. 25 000 frisons en train de mettre en feu le Stadion Feijenoord à Rotterdam » dixit Johann Mast.

Un derby joué à la Playstation faute de mieux

« Les supporters de Cambuur vous diront toujours qu’ils ont gagné le plus de derbys de Frise, ce qui est faux en vérité. Ils jouent toujours les Caliméro. Vous êtes gros, on est petits et vous êtes pas gentils » , relance Martin Stallinga en bon fan des Fean. « Heerenveen a toujours été devant : de meilleurs joueurs – je crois qu’il n’est pas nécessaire de faire une liste – les premiers à avoir un nouveau stade, plus de sponsors, plus d’argent, plus de gros transferts, les premiers à arriver en finale de Coupe, à en gagner une, les premiers à atteindre la Coupe UEFA puis la Ligue des champions. » Une qualification en Ligue des champions acquise en 2000, lorsque le club finit dauphin du PSV. Et encore une fois, le SC Cambuur a le rôle du con : le 30 avril, c’est en infligeant un 2-0 aux Geelblauwen que les Superfriezen valident leur ticket pour la coupe aux grandes oreilles. Le SC Cambuur, lui, acte un peu plus son retour en Eerste Divisie. Un passage au purgatoire qui durera treize ans pour les Leeuwardois. En attendant, les frisons recréent le derby par tous les moyens, comme l’explique entre deux sourires Kévin Diaz : « Comme on était en Eerste Divisie, la télé régionale, Omrop Fryslân, avait organisé le derby de Frise au stade de Heerenveen. Chaque joueur de Cambuur devait faire une activité contre un joueur de Heerenveen. Il y a eu pas mal de choses : des fléchettes, du tennis de table, etc. Moi, j’ai eu l’épreuve Playstation avec une manche sur FIFA et une manche sur PES. J’avais gagné les deux parties face à Geert Arend Roorda donc j’étais bien avec les supporters. » Faute de merles, on mange des grives frisonnes. Finalement, le 3 mai 2013, grâce à sa victoire face au SBV Excelsior, le club remonte dans l’élite pour retrouver son meilleur ennemi « trente kilomètres plus loin » . En lui laissant au passage un petit message via une banderole : « Cambuur Nooit Weer ? Guess Who’s Back ? »

Depuis le retour du derby de Frise dans l’élite, les deux formations sont à égalité. Deux victoires de chaque côté, un match nul. Actuellement, Cambuur a perdu son meilleur buteur Ogbeche, parti finir la saison à Willem II, et n’a jamais été aussi prêt de retourner en Eerste Divisie. Le SC Heerenveen, en revanche, revit avec le retour en intérim de Foppe de Haan. Avantage Superfriezen, donc. Mais à en croire Johann Mast, il y a bien un point sur lequel les Leeuwardois remporteront toujours le derby de Frise : « Si Cambuur est un plus petit club, ils ont de meilleurs fans, en un sens. Moins nombreux mais beaucoup plus bruyants. On compare souvent Heerenveen à un public de cinéma pour leur silence. Dimanche, le derby sera à Leeuwarden et ce sera très bruyant. »

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