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« C’est comme si Vicault avait tapé Bolt en finale du 100m  »

propos recueillis par Simon Capelli-Welter
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Le 3 octobre 1984, le FC Metz signait aux dépens du FC Barcelone le plus gros exploit de son histoire et l'une des plus grandes surprises de l'histoire des Coupes d'Europe. Défaits 4-2 au match aller à domicile, les Messins s'imposent 4-1 en Catalogne. Et se qualifient. Metz que un exploit : l'histoire d'une bande de potes, solidaires et soudés comme l'acier dans une ville et une région malmenées par les premiers déclins de la sidérurgie. Pierre Théobald, né en 1976 à Thionville et ancien journaliste au Républicain Lorrain, a écrit un livre sur cette aventure. Entretien.

Ce match, c’est celui qui définit le FC Metz, non ?C’est ce qui a contribué à doter le FC Metz d’une petite renommée… Mine de rien, c’est un match qui revient dans le circuit dès qu’on parle d’exploit européen. Il résume ce qu’a été (ce qu’il est encore, je ne sais pas) un club sans grand moyens, mais capable de coup sensationnel. Car, littéralement, ce Metz-Barça reste un moment irréel.

Et pourtant un acte fondateur ? Je ne sais pas si c’est un acte fondateur, puisqu’il y a la victoire en Coupe de France 84 juste avant, victoire qui les amène justement en C2. La Coupe de France, tu la sens arriver, ça se fait au fil des tours, avec cette finale contre Monaco avec, en toile de fond, cette grève des sirédurgistes, le parc qui devient un peu un lieu de contestation…

En revanche, le retour contre le Barça, personne ne le sent arriver ? Au match aller, les Messins sont vraiment ridicules, grotesques. Ils prennent un csc, Ettore prend un but avec un rebond foireux, c’est Vidéo gag… Et puis bon, c’était la 29e participation européenne de suite pour le Barça ; Metz en était à deux Coupes des villes de foire… Les deux seuls joueurs à avoir disputé une Coupe d’Europe, c’étaient Zappia, qui jouait à Innsbruck, et Jean-Paul Bernad. Formé à Lyon, il aurait pu devenir énorme, c’était l’un des futurs cracks lyonnais avec Chiesa et Lacombe, mais il a eu une grave blessure. À ce moment-là, plus personne n’en veut, alors Carlo fait encore du Carlo (ndr : Carlo, comme tout le monde l’appelle en Moselle, c’est évidemment Carlo Molinari. Il faut savoir qu’à ce moment-là, le FC Metz, suite à un train de vie un peu trop dispendieux dans les 70s, est à deux doigts de déposer le bilan lors de l’été 83 et doit faire des économies, et donc des bons coups) et bim, Bernad redevient un numéro dix génial, au retour, trois passes décisives de Bernad… Et à côté de lui… Il faut savoir qu’au Camp Nou, il y avait alors 11 joueurs sur 16 formés au club. À Metz hein, pas à Barcelone.

Tu l’avais vu à l’époque ce match ? Bah non. Personne n’avait pu voir ce match, le score de l’aller avait dissuadé tout le monde, la télé avait diffusé le retour à Bilbao de Bordeaux. Qui se qualifie aussi d’ailleurs, petit exploit. Mais le match de Metz, non, il fallait le suivre à la radio. Et encore. Les joueurs eux-mêmes, quand ils remontent dans le bus et atterrissent au Luxembourg, ils mettent la radio : on annonce la victoire de Bordeaux, rien sur Metz. Et Jean Sadoul, lui, le président de la Ligue de foot de l’époque, il était en voiture quand il a entendu le résultat. Il s’est rangé sur le bas de côté, il a dû changer de station pour avoir la confirmation.

Personne ne l’a vu, mais tout le monde raconte l’avoir suivi à la radio…En effet, il est de bon ton de dire qu’on l’a écouté. Mais le match était très tard pour l’époque, 21h15, à l’horaire espagnole. Beaucoup de monde a découvert le résultat au matin dans la Répu (ndr: le Républicain Lorrain). Un temps où la presse annonçait encore les résultats..

En tout cas, ce match contribue aussi à la certaine sympathie que dégage le FC Metz, enfin, si tu trouves aussi que le club véhicule cette image ? Il y a dans le rapport des amoureux de ce club une sorte de transmission qui ressemble à ce qui existe en Angleterre. Tu peux être amoureux sans être supporter, d’ailleurs, tu n’es pas forcément dans le résultat, c’est autre chose, quelque chose de plus transi. J’ai bossé à Angers, et quand Metz est tombé en National, ça m’a fait chier, vraiment, alors que je ne connaissais pas le nom de trois joueurs… Il y a un lien fort avec ce club, et celui qui n’est pas mosellan peut aussi le ressentir, un peu comme pour Saint-Étienne, même si ce lien-là repose aussi sur un palmarès. En France, je ne vois pas trop ailleurs ce rapport un peu charnel. Peut-être à Lens…

Et comme tu es amoureux du FC Metz, ce match fait donc partie de toi, que tu le veuilles ou non ? Finalement, j’ai demandé aux mecs de me raconter mon enfance, car raconter ce match, c’est aussi raconter les années 80, les premières années Mitterrand, le Texas lorrain qui commence à se casser la gueule, le foot d’avant, à deux remplaçants (pas de gardiens remplaçants), où les types prennent des apéros interminables, des cuites, se fréquentent, se fréquentent encore aujourd’hui, ont formé une asso. Marcel Husson est actuellement très malade, il a suffi qu’un des joueurs claque des doigts pour que les mecs rappliquent à son chevet. Ce qui fait tout le charme de ce match, c’est aussi que les mecs arrivent à Barcelone en touristes… En touristes, oui. Complètement : ils allaient découvrir Barcelone en famille, ils avaient voyagé avec les femmes, et bon, accessoirement, ils allaient jouer ce match. Et puis faut voir le contexte. En octobre 1984, il n’y a pas encore Canal. Le foot étranger, ça n’existe pas. Les mecs, Schuster, ils l’ont vu avec l’équipe d’Allemagne, trois ou quatre fois dans leur vie, et là c’est un fantasme, qui tout d’un coup devient réalité, pour un soir, et qu’il faut affronter. La veille du match, ils vont reconnaître le Camp Nou, la séance est prévue pour une heure, elle dure deux heures et demie. Les mecs jouent quoi, personne ne veut partir, ils voulaient en profiter.

Il paraît pourtant que Molinari a toujours dit : « On ira gagner à Barcelone. » C’est vrai ?
Gagner oui, mais se qualifier non. Ils ont merdé à l’aller, Barcelone ne les avait pas si impressionnés que ça. Molinari dit alors : « On y va pour gagner. » Bernad est envoyé faire un repérage, les journalistes lui demandent ce qu’il fout là, ils se foutent de sa gueule, eux, persuadés que… Mais les Messins avaient vu : une défense un peu balourde, qui joue la ligne, alors qu’à l’époque on jouait avec un libéro, et ils se disent qu’avec Kurbos dans leur dos, il y a peut-être moyen… Mais le seul qui y croyait vraiment, mais alors vraiment, c’était Michel Ettore. Car lui était hyper vexé, il avait été mauvais comme un cochon au match aller, et comme Michel est un monstre d’orgueil…

C’est quand l’histoire personnelle vient au service du destin collectif ?Il y avait un tournoi de tennis ATP qui se jouait à Barcelone en même temps, ils ont bu des coups avec Wilander, Sonor et Bocandé avec Noah. Comme ils m’ont dit : « Tout ce qu’il faut faire avant un match, on ne l’a pas fait. » Quartier libre, certains sont allés se balader, d’autres ont maté le tennis. La veille au soir, la femme de Kurbos et celle de Husson se sont barrées après avoir compris être dans un hôtel de passe près des Ramblas ; ça avait tapé trois ou quatre fois à la porte, les mecs voulaient connaître les tarifs. Elles ont rejoint leurs mecs pendant la nuit. Et le lendemain matin, quand elles sortent de l’hôtel des joueurs en essayant de la jouer discrète, elles tombent sur Molinari…

Quand as-tu décidé de bosser sur ce livre ? J’ai commencé à travailler en janvier, les mecs ont été très vite réactifs, parce que ravis d’en parler. C’est leur âge d’or, et ils sont aussi heureux de transmettre ça. D’autant que ce n’est que très récemment que la majorité d’entre eux a pu voir le match en intégralité, maintenant qu’il est en ligne.

Un tel exploit est-il encore possible ? Le foot a suivi une évolution telle : tout a été fait pour éliminer ce genre d’événements à nouveau, avec tous ces groupes et non plus de matchs à élimination directe. Tout est fait pour que ce genre de surprises n’existe plus, ce qui rend le truc encore plus savoureux. Même si sur un aller retour, il existe un péril, il était censé être écarté dès l’aller. D’autant que les Barcelonais ouvrent le score au retour… Ce serait quoi, aujourd’hui, l’équivalent ? Faudrait que sur la dernière journée de CL, un club comme United soit en ballottage défavorable pour sa qualification, parce qu’il faut non seulement les battre, mais aussi les éliminer, et ce contre une équipe sans le sou, complètement novice sur le plan européen.

Même Bale, ce serait trop gros ? Quelque part, oui. Parmi les types qui sont sur le banc, l’un deux, Michel Deza, jouait au FC Yutz en honneur régional. Il était très content de son sort à Yutz, mais le FC Metz lui demande une fois, deux fois, trois fois… Il est même entré au match aller, et depuis, ça fait 15 ans qu’il entraîne le FC Yutz. Franchement, même les exploits de Marseille, Lille qui a gagné à Milan, Toulouse qui a battu Naples une fois, ça ne vient pas surpasser ça. C’est une histoire qu’on n’oserait même pas écrire. Kurbos qui met les trois buts, c’est n’importe quoi. Comme le dit Luc Sonor : « À chaque fois que je vois une équipe battue par le Barça, je me dis « Nous, on l’a fait », et quand on me demande comment on s’y est pris, je réponds : « Aucune idée, mais on l’a fait. » » Alors bien sûr, il y a des éléments tangibles, ils savaient comment prendre la défense, tactiquement un plan de jeu… Mais des mecs qui viennent du fin fond de la Lorraine, qui n’est pas nécessairement l’endroit le plus brillant du pays, dont les frères, pères et potes travaillent dans l’acier, des footballeurs de peu qui tout à coup viennent fracasser des stars vingt fois mieux payées qu’eux… En fait, c’est comme si Jimmy Vicault avait tapé Usain Bolt en finale du 100m des derniers championnats du monde !

Sauf qu’en plus, c’est une histoire collective…C’est ce que disent les mecs, à un moment donné, ils n’en pouvaient plus, ils étaient vraiment morts, mais à aucun moment, ils n’ont lâché. Parce qu’ils n’étaient pas seuls. Il s’agissait de toujours donner une solution pour le porteur, toujours faire le replacement, la course qu’il faut, échanger des regards, des mots. Comme le dit la femme de Marcel Husson : « Ce match a fait de vous des frères. » Et je dis ça sans vouloir verser dans l’angélisme à deux balles.

D’autant que si c’est une histoire aussi belle qu’incroyable, c’est avant tout une histoire de jambon… Il y a là trois versions. Dans tous les cas, c’est Shuster qui l’ouvre après le match aller. Un : Schuster dit « Ces mecs-là, c’est des jambons. » Deux : Schuster dit, en parlant de Michel Ettore, mauvais comme un cochon à l’aller : « Je lui enverrai un jambon pour le remercier. » Trois : « Si jamais ils se qualifient au retour, je leur enverrai un jambon. » Ce qui est sûr, en tout cas, c’est qu’au coup d’envoi du retour, Michel n’a qu’une envie : « Lui péter la gueule. » Et à la fin du match, alors que tous ses coéquipiers se jettent les uns sur les autres pour se congratuler, Ettore, lui, se jette sur Schuster pour lui hurler en pleine gueule : « Alors, il est où, mon jambon ?!?! » Sauf que Schuster ne comprenait rien, il ne parlait pas français…

FC Barcelone – FC Metz 1984 : le match de leur vie par Pierre Théobald aux éditions Serpenoise.

JO : l’important n’est ni de gagner ni de participer

propos recueillis par Simon Capelli-Welter

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