« S’il avait eu la tête bien faite... »
Il y a toujours eu deux facettes chez Cassano. Les surnoms le confirment. D'une part Fantantonio, le Pibe de Bari, de l'autre El Gordito, Peter Pan et ses fameuses « cassanate » , ses coups de sang baptisés par Fabio Capello. Il y a le fantastique du terrain donc, ses coups de génie techniques pour débloquer des parties, ses fabuleux duos avec Totti, Pazzini et Ibra – allez, calons même du Balo en souvenir d’un bel Euro. Et puis, le fantasque. Le type qui s'embrouille, qui insulte l'arbitre, un coéquipier, son président, son club, claque les portes, prend du poids et fait des promesses qu'il ne tiendra jamais dans un marcel fatigué par l’embonpoint. Il aurait pu être un symbole à la Roma, une star au Real, jouer à la Juventus. Il aurait pu gagner plus de titres. Il aurait pu. Mais l’hygiène de vie et le caractère ont pollué la carrière. Au point que sa plus grande promesse, celle formulée un soir de décembre 1999 à Bari avec un but fantastique contre l'Inter, apparaît comme la plus bafouée. Il y aurait de quoi être déçu.
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Mais c'était ça, Cassano. Un joueur bourré de talent doublé d'un impulsif irréfléchi. Fou ? Un fou conscient, alors. « Qu'il soit dans son Bari Vecchia ou devant le président, il parlera de la même manière. Dire les choses en face ne lui pose aucun problème. Sur ça, Antonio n'a pas d'égal. Il le dit lui-même : s'il avait eu la tête bien faite, il serait en train de jouer seul sur la lune » , décrivait Marco Materazzi dans les colonnes de SoFoot, bien avant cette fameuse conférence de presse de la semaine passée, où Fantantonio versait encore dans le mea culpa et l’auto-flagellation pour son tempérament de cochon. On a ri, on s’est agacé, mais on l’a cru, encore, comme quand il disait que son AVC, sa nouvelle paternité ou ses périodes d’inactivité l’avaient changé. Comme quand tant d’autres annonçaient sa rédemption, à la Samp' par deux fois, à Milan et à Parme, jusqu'en Nazionale. Cassano ne s'est jamais refait, parce que telle était sa nature. On lui en a voulu, mais on lui a toujours redonné une chance, on l’a – presque – toujours bien accueilli là où il a posé ses valises. Pour le talent qu’il voulait bien partager, lui qui préférait la passe décisive au but. Jusqu’à l’inévitable rechute. Au fond, personne n’était dupe.
On s’est quand même bien marré, non ?
Sans appeler à l’absolution, il est temps de reconnaître à l’enfant de Bari, ce grand gamin de 35 ans, une qualité unique dans le football moderne. Dans un monde toujours plus aseptisé, à l’heure des interviews « l’important c’est les trois points » et « le groupe vit bien » , cette heure de la langue de bois et de la maîtrise communicationnelle, Antonio était quand même un grand bol d’air frais. Un soupçon d’imprévisibilité qui nous ramenait aux stars d’un autre temps. Chacun de ses actes déclenchait la réaction. Un sourire à voir son physique district faire plier les défenses, une moquerie pour ses dernières courses ridicules et sa moue comique mains sur les hanches, une franche rigolade à la lecture d’une interview relatant une incartade sexuelle ou alimentaire, une colère au dérapage verbal et à l’annonce d’un nouveau club de cœur... Cassano, par ses faiblesses qui le dépassaient pour nous sauter au visage, nous apparaissait dans toute son imparfaite humanité, celle que tant de ses collègues – nous tous ? – cherchent à dissimuler. Même dans tous ses mensonges, Antonio Cassano était vrai.
On peut regretter qu’il n’ait pas fait mieux. Dire qu’il n’a pas bien agi. Qu’il n’a pas été pro. Mais nous aurait-il autant diverti s’il avait évité le gorgonzola, fermé son clapet et travaillé dans son coin à être le meilleur ? La réflexion ne devrait pas tenir le temps d’une interview de Griezmann. Il faut de tout pour faire un monde du football, et le retrait d’Antonio Cassano, l’enfant terrible, lui enlève assurément quelque chose. Quant à savoir ce que deviendra le jeune retraité, c’est encore lui qui nous offre une unique certitude. « Quand je vais arrêter, je deviendrai très gros. Vieux, je serai gros, sans cheveux, et heureux. »
Par Alexandre Pauwels
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