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Arrigo Sacchi : « Le collectif est meilleur que l’individu »

Propos recueillis par Markus Kaufmann
Arrigo Sacchi : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Le collectif est meilleur que l&rsquo;individu<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Il fallait bien un premier à ce top coach ; il fallait bien que ce soit Sacchi. Parce que le Mister, le vrai, c'est lui. Son titre de meilleur coach de tous les temps selon sofoot.com, son Milan, sa retraite, son métier, son évolution, son successeur : voici la première partie d'un entretien total football avec Arrigo « Magic » Sacchi.

Parlons du métier d’entraîneur. Est-ce une vocation ?

D’abord il faut qu’il y ait un talent. Mais il est encore plus important que ce talent soit alimenté par un grand amour, avec une certaine culture du professionnalisme. Il faut avoir la certitude de toujours pouvoir donner plus. Et puis il faut avoir une certaine sensibilité…

Laquelle ?

Il y a quelques années, j’ai donné une conférence pour la Fédération anglaise. Et Mark Hughes m’avait demandé : « Comment t’as fait ? D’où est sorti ce Milan ? » Surtout dans un pays comme l’Italie, c’était inattendu. C’est venu grâce à la réunion de nombreux facteurs. Avant tout grâce à un club ambitieux, bien organisé, patient, et aussi compétent, qui nous a fait travailler dans les meilleures conditions possibles. Un club où le projet technique a pu prendre plus de place que les intérêts qu’imposent le merchandising et le marketing, un projet qui a fait comprendre qu’il fallait prendre les joueurs les plus fonctionnels pour le jeu que nous voulions réaliser. La différence s’est d’abord faite là : nous faisions le recrutement de personnes, de caractères, de personnalités en qui nous pouvions avoir confiance, sur qui l’on pouvait compter. Même dans le football, tout part de la personne, de sa motivation, de sa volonté, de sa recherche de l’excellence et de l’envie de travailler. Des personnes qui comprennent que sans le travail, il n’y aurait pas de résultats.

À cette époque, vous vous rendiez compte que vous étiez en train de révolutionner le jeu ?

Non, on ne pensait pas faire ce que l’on a fait. J’ai posé la question à plusieurs joueurs : « Tu pensais qu’on allait devenir l’une des plus grandes équipes de tous les temps, toi ? » Personne ne s’y attendait. Donadoni, Ancelotti, Baresi… Mais, tout le monde faisait de son mieux. Quand j’y repense, on n’aurait pas pu donner plus. Et c’est le plus important. Après avoir gagné la Coupe en 1989, je me rappelle un superbe compliment de la part du journal L’Équipe, qui avait écrit : « Après avoir vu ce Milan, le football ne pourra plus jamais être le même. » J’ai toujours pensé que le moteur du football était le jeu. Et en partant de cette idée de jeu, j’allais chercher des personnes de confiance, et puis des joueurs fonctionnels avec ce système. Et nous nous sommes mis à travailler ensemble. Je n’arrêtais pas de répéter : « Le collectif est meilleur que l’individu. » L’individu peut te faire gagner un match, mais les exploits se font avec une équipe. Le football est un sport collectif avec des moments individuels, pas le contraire. Et pour faire tout cela, nous avons énormément travaillé. Énormément, j’insiste. Je me rappelle avoir invité Wenger, Houllier et Fernandez à Milanello. Ils étaient revenus en disant qu’ils n’avaient jamais vu une équipe travailler autant. Je me souviens aussi d’un joueur, qui avait fait cette plaisanterie lors d’une interview : « Durant la semaine, nous sommes exténués, et nous nous amusons le dimanche. » Et les joueurs n’étaient pas les seuls à prendre du plaisir. Je suis particulièrement fier d’une chose : quand je suis arrivé au Milan, il y avait 30 000 abonnés. Dès la deuxième année, nous en avions 66 000.

Pourquoi avoir arrêté si tôt, alors ?

Il y a une explication. Progressivement, en Italie, j’ai eu l’impression d’avoir gagné le droit d’avoir ma propre personnalité en tant qu’entraîneur, et d’exprimer mes propres idées. Or, l’Italie est un pays qui craint la nouveauté, et non seulement qui la craint, mais qui la combat aussi. Et je dois dire que j’ai eu beaucoup de difficultés pour faire passer le message… C’est pour cela, quelque part, que j’ai arrêté tôt. Enfin, je n’ai pas vraiment arrêté, puisque aujourd’hui encore je m’occupe de superviser toutes les catégories de jeunes de l’équipe nationale italienne. Mais bon, je n’ai plus senti l’envie d’entraîner. Il faut se rendre compte que j’ai commencé en 1972 et terminé quasiment en 1997. Cela fait vingt-cinq années que j’ai vécues à pleine vitesse, sans n’avoir jamais été viré, sans n’avoir jamais connu de rétrogradation, et en gagnant dans toutes les catégories existantes en Italie, en commençant par l’avant-dernière, en dilettanti, car mon niveau de joueur ne m’avait pas permis de sauter les étapes (rires). Quand j’ai commencé, je me rappelle que l’on travaillait avec une équipe de dilettanti. En présaison, on s’entraînait tous les jours, et on avait perdu tous les matchs amicaux. Finalement, on gagne le championnat. La seule explication au fait qu’ils ne m’avaient pas viré avant, c’est que je n’avais même pas de salaire, et même, je donnais moi-même une petite contribution.

Parfois, on fait un parallèle entre votre Milan et le Barça de Guardiola…

Je pense que sur les quarante dernières années, trois équipes ont permis à ce sport d’innover. Et de permettre au jeu de rester attractif. Car le football aurait pu dater dans le temps. Mais trois équipes ont fait le témoin, afin de faire passer des concepts généraux qui se sont ensuite imprégnés dans notre culture avec le temps : l’Ajax de Michels, mon Milan, puis le FC Barcelone. Celui de Guardiola. Car celui de Cruijff n’a pas laissé une empreinte aussi importante.

Après avoir entraîné avec une telle intensité ce Milan et puis la Nazionale, vous pensez qu’il était impossible de continuer ?

On peut faire le parallèle avec l’arrivée de Guardiola au Bayern… Je suis un ami de Guardiola et on s’écrit beaucoup. Il a vécu les mêmes problématiques que j’ai vécues : nous avons tous les deux pris ces équipes à un moment particulier, et nous leur avons tout donné, toute notre personne, tout notre temps. Moi, je lui souhaite évidemment qu’il puisse continuer. Mais moi, après vingt-cinq années vécues à mille à l’heure, je n’ai pas réussi. Lui, cela fait un peu moins de vingt-cinq ans (rires), j’espère bien qu’il y arrivera. En ce qui me concerne, au Milan ou en dilettanti, cela ne changeait rien : je faisais les choses avec la même intensité, la même émotivité, la même passion et la même concentration. Et j’ai adoré. Je me souviens très bien que lorsque l’on avait gagné le championnat des dilettanti, il n’y avait pas le bonheur de la Serie A ou le bonheur de la Serie B… Il y a le bonheur tout court. Du coup, je faisais les choses au maximum, et Guardiola, qui est un grand professionnel, fait les choses de la même manière. Et je lui souhaite de pouvoir continuer ainsi, car cela fait seulement quelques années qu’il entraîne.

Qu’est-il arrivé à son Barça ?

Son Barça avait de la génialité, et de l’innovation. Mais il fatigue, car il a perdu de l’intensité, son travail défensif, sa capacité du pressing. À la télévision ou même au stade, les différences semblent minimes, mais elles sont énormes. Dites-vous que le football, c’est exactement comme la musique. Dans un orchestre, si un musicien fait un accord légèrement trop tôt ou trop tard, ou alors trop fort ou trop faible, ce n’est plus la même musique. Dans le football, si un joueur part un demi-mètre plus en avant, ou un demi-mètre plus en arrière, trop tôt ou trop tard, cela change tout. Et ça, cela relève de la sensibilité de l’entraîneur. Il est le seul qui, durant les exercices à l’entraînement, peut voir les nuances que les autres ne pourront jamais réussir à voir. Dans le secteur de jeunes de la Nazionale, nous avons sept catégories, et il y a un protocole. Quand je vais voir les entraînements de toutes les équipes, je peux voir certaines choses : il y en a qui font tout mal, d’autres pas mal et d’autres directement bien. On peut voir quelques choses, mais on ne voit pas tout. Par exemple, quand j’étais au Milan, Berlusconi n’était pas content quand je faisais venir d’autres entraîneurs à Milanello. Mais je lui disais : « Ils peuvent comprendre l’exercice, mais pas ma sensibilité. » C’est comme du Beethoven. Ou par exemple, si un directeur d’orchestre souhaite faire jouer un opéra, disons la Tosca, la structure sera toujours là, mais si c’est un directeur lambda qui le dirige, cela fait toute la différence.

Aujourd’hui, en quel entraîneur vous retrouvez-vous le plus ?

À une époque, on parlait de Benítez comme le « nouveau Sacchi » . Je dirais quand même Guardiola. Mais si aujourd’hui je faisais l’entraîneur, les concepts généraux seraient les mêmes, mais les solutions seraient bien différentes. Heynckes fait un travail fantastique avec le Bayern Munich. Je me rappelle qu’il avait été mon adversaire en 1990, dans un Bayern-Milan. Cela en dit long sur l’évolution du football allemand et de notre propre évolution : à l’époque nous étions meilleurs qu’eux. Je me souviens que l’on avait gagné 1-0 à Milan, en dominant, un résultat mérité. Puis on va jouer le retour à Munich. À la fin de la première mi-temps, je me rappelle des statistiques. Tirs cadrés du Bayern : 1 ; tirs cadrés du Milan : 11. Et on avait déjà gagné l’aller 1-0 ! Aujourd’hui, en revanche, le Bayern a beaucoup de choses à enseigner à nos équipes italiennes, qui sont restées en arrière. La seule équipe, un peu, est la Juventus, et la Fiorentina, mais cette Juventus n’est pas encore compétitive. En Italie, on a encore du mal à comprendre le jeu, l’organisation.

Qu’est-ce que vous voulez dire ?

Quand on juge le Bayern, on ne parle que de son intensité physique ! Mais non, c’est avant tout de l’organisation ! Et de la motivation, du travail, la capacité de collègues de devenir une équipe avec un E majuscule. C’est comme ça que leur impact donne une impression dévastatrice. Ce soir, après le match, (ndlr : propos recueillis mardi soir dernier, après Bayern-Barcelone) ils disaient à la télévision italienne qu’il y avait eu plus de physique du côté du Bayern… Mais cela fait des années que toutes les équipes qui ont joué contre le Barça en Europe sont plus physiques que les Blaugrana ! Ils font tous 1m70. Ce n’est pas une question de physique, mais d’organisation. De cette capacité tactique à rester compact, tout en créant du mouvement et de la vitesse de jeu. C’est de l’organisation défensive et beaucoup de mouvements sans ballon. Et ce soir, la technique du Barça n’a pas supporté cette vitesse, ces mouvements sans ballon et cette défense collective des Allemands sur le pressing. Tout simplement, le Bayern, en ce moment, est supérieur au Barça. Une bonne organisation, de la vitesse, la bonne intensité, un bon jeu, une équipe complète.

Et puis, au contraire des équipes italiennes, le Bayern fait dans la continuité depuis des années…

C’est essentiel. Progressivement, le Bayern a construit une équipe avec des joueurs qui sont tous adaptés au football total. Car c’est bien l’objectif ici : le football total ! Le football sera toujours plus un sport d’équipe, et la capacité de placement, de mouvement, le fait d’avoir onze joueurs en position active avec le ballon et sans le ballon, restera toujours fondamental.

Alors comment définir le football total ? Onze joueurs en position active ?

Onze joueurs qui jouent comme s’ils n’en étaient qu’un. C’est seulement ainsi que l’on multiplie les capacités de chacun. Qui est déjà bon devient extraordinaire, qui est extraordinaire devient un fuoriclasse, et qui est d’un niveau discret devient bon.

À lire : La suite du top 100 des entraîneurs

Gerard Piqué : la révolution en pantoufles

Propos recueillis par Markus Kaufmann

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