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Arda, l’émancipation loin du pays
Longtemps demi-Dieu de Galatasaray, puis artiste du Vicente-Calderón, Arda Turan se retrouve aujourd’hui au FC Barcelone. Un parcours idéal qui, loin de faire des émules au pays, explique en partie la crise que traverse le ballon rond en Turquie.
Par définition, le tirage au sort fait la part belle au hasard. Une vérité des plus banales qu’Arda Turan apprend à détester depuis le 22 août dernier. Néo-barcelonais depuis cet été, il découvre alors que l’Atlético de Madrid, club qui l’a révélé sur la scène internationale, et le Galatasaray, où il a fait toutes ses gammes, se trouvent dans le même groupe de Ligue des champions. Un caprice du destin puisque, durant ses quatre saisons en rojiblanco, jamais il ne croise le chemin de son club formateur. Ce triptyque entre Istanbul, Madrid et Barcelone, le natif de Bayrampaşa – quartier populaire de la capitale turque – l’évoque déjà en janvier dernier alors qu’il milite toujours chez les Colchoneros : « En dehors de la Turquie, Galatasaray est plus à l’image de Barcelone en Espagne. L’Atlético de Madrid rappelle plus le Beşiktaş Istanbul. Économiquement, le Gala a plus d’argent que le Beşiktaş, comme le Barça par rapport à l’Atlético. » Une analyse personnelle qui, aujourd’hui, se retrouve au cœur de l’actualité. Surtout, le parcours du capitaine de la sélection de Fatih Terim reste une exception au pays qui explique, pour beaucoup, le faible niveau du ballon rond turc.
Arda : « Les gens sont fous avec le football en Turquie »
Élément déclencheur dans l’histoire entre Arda Turan et le Galatasaray, Fatih Terim est un personnage central dans la carrière du Genio de Bayrampasa. « J’avais treize ans lorsque Fatih Terim est venu m’offrir mon premier contrat, se souvient l’intéressé. Il sentait que je pouvais être un bon joueur et je me suis senti mis en valeur. Fatih Terim nous a appris à n’avoir peur de personne, peu importe l’adversaire. La Turquie a appris de Fatih Terim qu’elle pouvait gagner. Avant lui, le football turc était bon, mais sans plus. » Être bon ne suffit pas à Arda, pour qui le simple football turc n’est plus gage de progrès une fois la vingtaine passée. Indéboulonnable du Gala dès ses 19 ans, capitaine à partir de son 22e anniversaire, il stagne. Pis, la pression due au brassard se retourne contre lui : « Au Gala, quand nous perdions des matchs, les supporters disaient : « Arda, il faut que tu fasses ça et ça, que tu règles tel ou tel problème. » La pression était beaucoup trop grande. En Turquie, les gens sont encore plus fous qu’ici avec le football. » De fait, un départ en Europe devient inéluctable, tant pour son épanouissement personnel que son développement sportif.
Espoir du ballon rond continental, Arda Turan reçoit des propositions anglaises, italiennes et espagnols. Nihat Kahveci, autre exception du football turc, se souvient encore des doutes du jeune capitaine du Gala : « Il m’a appelé à la fin de ma carrière, lorsque j’étais revenu au Beşiktaş. Il m’a dit : « Nihat, j’ai une offre d’un club espagnol. » J’ai joué plus de huit ans en Liga, je connais très bien le championnat, qui est pour moi le meilleur au monde. Je lui ai dit : « Vas-y. Peu importe combien ils te paient, fonce. L’Atlético est l’un des plus grands clubs d’Espagne, tu n’as aucun doute à avoir. » » Après des débuts compliqués – en 2010, malgré une Ligue Europa conquise, l’Atlético est toujours atteint de schizophrénie -, l’arrivée de Diego Simeone lui redonne confiance et, par ricochet, réussite. En l’espace de quatre exercices, il devient la caution technique des Colchoneros tout en remplissant un rôle défensif qui lui était jusque-là inconnu. Des progrès qui font dire à son ami Emre Belözoğlu que, « lors de ses deux dernières années à l’Atlético, il a montré un niveau incroyable, un niveau qu’aucun joueur turc n’a jamais eu en Europe » .
Emre Belözoğlu : « Il faut absolument qu’il reste en Espagne »
L’Europe, justement, reste un territoire où les jeunes Turcs ne s’exportent que peu. Pour Emre, l’exemple d’Arda Turan ne doit pas rester sans successeur : « Il faut absolument qu’il reste en Espagne, pour lui et pour les Turcs. Il montre à tous nos jeunes joueurs le chemin à suivre et, surtout, que pour que la sélection turque retrouve les sommets internationaux, ils doivent partir s’aguerrir à l’étranger » . Sport roi au pays, le football turc peine pourtant à faire son nid dans le gratin mondial. Une aberration, tant le nombre de licenciés est élevé, que ce même Emre explique par un manque d’ambition : « Arda est le seul de sa génération à avoir voulu s’imposer au plus haut niveau, c’est pour ça qu’il est parti en Europe. Les autres joueurs turcs veulent rester en Turquie : ils ont de gros salaires, ils vivent très bien à Istanbul… Personne ne veut s’aventurer à l’étranger. Et c’est le drame de la sélection. Les mentalités doivent changer » , poursuit Emre. Un changement toujours amorcé par Arda Turan qui, en troquant sa popularité du Calderón pour l’exigence du Camp Nou, prouve une nouvelle fois que l’émancipation ne rime pas avec facilité.
Par Robin Delorme, à Madrid